Sommaire
IUn poème moderneIIUne description préciseIIIUne description sensorielleIVUne vision péjorativeVUne métaphoreLe Pain
La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.
Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.
Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable…
Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.
Francis Ponge
Le Parti pris des choses
1942
Un poème moderne
- Ce poème en prose est moderne tout d'abord par sa forme qui ne respecte pas les règles classiques de la poésie. Il n'est constitué que de courts paragraphes symbolisant les différents éléments ou étapes qui constituent cet objet.
- Le poème est donc court et dense comme l'objet décrit : du pain. Ce dernier entre en scène de manière claire dès le titre : "Le Pain", terme qui apparaît ensuite à trois reprises, comme un rappel au lecteur. De plus, l'objet est caractérisé par un article défini comme s'il s'agissait d'un article de dictionnaire, impression renforcée par le présent gnomique : "est", "donne", "sont", "fanent". Ainsi, un lien est créé entre l'objet en question et le poème qui lui donne vie.
- Comme indiqué dans le titre du recueil : Le Parti pris des choses, Francis Ponge décide de prendre le parti des objets quotidiens et ordinaires, c'est-à-dire qu'il les montre de manière poétique, faisant en sorte que le lecteur redécouvre l'objet comme s'il le voyait pour la première fois.
Une description précise
- L'objet en question est soumis à une description précise et détaillée. Le texte est organisé et structuré comme en témoignent les paragraphes et les connecteurs logiques qui scindent le texte en trois parties : "d'abord", "ainsi donc", "Mais".
- Ces trois étapes suivent les trois éléments qui constituent l'objet en allant de l'extérieur à l'intérieur. Il y a tout d'abord la croûte, puis sa transformation lors de sa cuisson au four et enfin l'intérieur lorsqu'on coupe le pain et que la mie apparaît.
- Cette description organisée est également visuelle. Le poète parle de "la surface" et de l'impression "quasi panoramique" qu'elle donne. Il s'agit donc d'une description d'ensemble afin de saisir l'objet dans sa globalité.
- Le poète, à travers une comparaison, crée une représentation visuelle de la croûte et de son paysage accidenté : "les Alpes, le Taurus ou la cordillère des Andes". Ensuite, les termes employés filent cette image : "vallées", "crêtes", "ondulations", "crevasses" montrées en cours de formation.
- La mie est elle aussi décrite de manière imagée grâce à la comparaison à une "éponge" qui évoque à la fois la vue et le toucher.
Une description sensorielle
- Si cette description est aussi précise et évocatrice, c'est qu'elle fait appel aux sens. Le pain est en effet destiné à être touché et goûté. Francis Ponge joue avec des expressions imagées comme "sous la main" qui renvoie au fait de prendre le pain, toucher la croûte et la briser. Il est à notre disposition. D'autres termes renvoient également au toucher : "durcissant" qui s'oppose à la "mollesse" et à "l'éponge".
- La vue est également convoquée à travers les images renvoyant au paysage escarpé de la croûte et à la "lumière" ainsi qu'au "regard".
- Enfin, on retrouve le goût avec l'expression "dans notre bouche". Le lecteur est donc invité par le poète à se laisser guider jusqu'à la consommation évoquée à travers l'impératif : "brisons" qui associe le poète et le lecteur.
Une vision péjorative
- Ce poème traite donc d'un sujet tout à fait ordinaire, le pain étant considéré comme un aliment de base.
- De plus, alors que la croûte est décrite de manière positive, tout comme la cuisson, une rupture se fait sentir lorsqu'il est question de la mie. Tous les regards sont attirés par la croûte et ses "feux" alors qu'il est précisé, à l'aide d'un tiret : "sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente."
- Alors que la croûte prend de la hauteur, la mie est comparée à "un sous-sol" qualifié de manière péjorative : "lâche et froid". Une comparaison établie un lien avec une éponge ce qui n'est guère flatteur. Le pain repose donc sur une opposition entre deux éléments irréconciliables : la croûte dure et chaude et la mie molle et froide.
- Enfin, le poème se termine sur une image négative du pain dans sa globalité, précisant que sa force ne dure pas longtemps car le pain "rassit" et ce qui faisait sa beauté devient "friable". Cette mention invite le lecteur à profiter tant qu'il le peut des petits plaisirs de la vie. Un peu à la manière d'une vanité littéraire, faisant référence au "memento mori".
Une métaphore
- Ce poème crée une image du pain, mais cette image constitue également une vision métaphorique visant à représenter notre monde ainsi que sa création. Ainsi, sa croûte renvoie à la croûte terrestre avec ses "vallées", "crêtes", "ondulations", "crevasses".
- La naissance du pain renvoie à la genèse de notre monde. Le four est ainsi assimilé à un "four stellaire" ou une "masse amorphe" en train "d'éructer", "durcissant" sous l'effet de la chaleur.
- Enfin, le poète file la métaphore avec la mie qu'il associe à des éléments végétaux : "feuilles ou fleurs" qui illustrent le cycle de la vie. On retrouve l'idée de la mort : "qui fanent et se rétrécissent".
- L'Homme n'est pas mentionné précisément mais il est présent à travers ses actes, il participe à la genèse du pain comme le montrent ces verbes d'action : "fut glissé", "brisons-la".
- L'Homme est également le destinataire du pain, présent à travers le pronom personnel "nous" montrant que l'auteur s'associe au lecteur : "pour nous", "notre bouche".
- Le pain peut alors être considéré comme un microcosme indépendant permettant d'appréhender le monde dans sa globalité. Même la religion est présente à travers le récit d'une genèse et l'allusion au pain, traditionnellement associé au corps du Christ, que l'auteur invite à consommer, ce qui fait référence à l'eucharistie.
Quelle est la composition de ce poème ?
I. Un poème en prose traitant d'un objet ordinaire
II. Une opposition entre la croûte et la mie
III. Une métaphore du monde
Quel est le message de ce poème ?
I. La beauté d'un objet quotidien
II. Une vision métaphorique
III. L'allusion au temps qui passe
Quelle place occupe la description dans ce poème ?
I. Une description minutieuse et imagée de l'extérieur vers l'intérieur
II. Une description faisant appel aux sens: la vue, le toucher, le goût
III. Une description élaborant une vision métaphorique de la genèse du monde
En quoi ce texte est-il antithétique ?
I. La beauté et la noblesse de la croûte comparée à un paysage
II. La mollesse ignoble de la mie comparée à un sous-sol
III. Une invitation à manger le pain et à profiter de la vie