Sommaire
IUn poème suppliantIILe lyrismeIIILa poétesse innocenteIVLa passion amoureuse malheureuseVLe thème de la religionVIUne élégie avec des références antiques"Quand vous lirez, ô Dames Lyonnoises"
Quand vous lirez, ô Dames Lyonnaises,
Ces miens écrits pleins d'amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes
M'orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez pas condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c'est erreur : mais qui dessous les Cieux
Se peut vanter de n'être vicieux ?
L'un n'est content de sa sorte de vie,
Et toujours porte à ses voisins envie :
L'un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tâche y mettre la guerre
L'autre, croyant pauvreté être vice,
À autre Dieu qu'Or ne fait sacrifice :
L'autre sa foi parjure il emploiera
À décevoir quelqu'un qui le croira :
L'un en mentant de sa langue lézarde,
Mille brocards sur l'un et l'autre darde :
Je ne suis point sous ces planètes née,
Qui m'eussent pu tant faire infortunée.
Onques ne fut mon œil marri, de voir
Chez mon voisin mieux que chez moi pleuvoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis :
À faire gain jamais ne me soumis.
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m'a déplu, que médire de lui.
Mais si en moi rien y a d'imparfait,
Qu'on blâme Amour : c'est lui seul qui l'a fait,
Sur mon vert âge en ses lacs il me prit,
Lorsque exerçais mon corps et mon esprit
En mille et mille œuvres ingénieuses,
Qu'en peu de temps me rendit ennuyeuses.
Pour bien savoir avec l'aiguille peindre
J'eusse entrepris la renommée éteindre
De celle-là, qui, plus docte que sage,
Avec Pallas comparait son ouvrage.
Qui m'eût vu lors en armes fière aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l'etour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Sœur de Roger, il m'eût, possible, prise.
Mais quoi ? Amour ne peut longuement voir
Mon cœur n'aimant que Mars et le savoir :
Et me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disait ainsi :
"Tu penses donc, ô Lyonnaise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flamme :
Mais non feras ; j'ai subjugué les Dieux
Es bas Enfers, en la Mer et ès Cieux,
Et penses-tu que n'aye tel pouvoir
Sur les humains, de leur faire savoir
Qu'il n'y a rien qui de ma main échappe ?
Plus fort se pense et plus tôt je le frappe.
De me blâmer quelquefois tu n'as honte,
En te fiant en Mars, dont tu fais conte :
Mais maintenant, vois si pour persister
En le suivant me pourras résister."
Ainsi parlait, et tout échauffé d'ire
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et décochant de son extrême force,
Droit la tira contre ma tendre écorce :
Faible harnais, pour bien couvrir le cœur
Contre l'Archer qui toujours est vainqueur.
La brèche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premièrement il chasse :
Et de travail qui me donne sans cesse,
Boire, manger, et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ni d'ombrage :
Je n'ai qu'Amour et feu en mon courage,
Qui me déguise, et fait autre paraître,
Tant que ne peux moi-même me connaître.
Je n'avais vu encore seize Hivers,
Lorsque j'entrai en ces ennuis divers ;
Et jà voici le treizième Été
Que mon cœur fut par Amour arrêté.
Le temps met fin aux hautes Pyramides,
Le temps met fin aux fontaines humides ;
Il ne pardonne aux braves Colisées,
Il met à fin les villes plus prisées,
Finir aussi il a accoutumé
Le feu d'Amour tant soit-il allumé :
Mais, las ! en moi il semble qu'il augmente
Avec le temps, et que plus me tourmente.
Pâris aima Oenoné ardemment,
Mais son amour ne dura longuement,
Médée fut aimée de Jason,
Qui tôt après la mit hors sa maison.
Si méritaient-elles être estimées,
Et pour aimer leurs Amis, être aimées.
S'étant aimé on peut Amour laisser,
N'est-il raison, ne l'étant, se lasser ?
N'est-il raison te prier de permettre,
Amour, que puisse à mes tourments fin mettre ?
Ne permets point que de Mort fasse épreuve,
Et plus que toi pitoyable la treuve :
Mais si tu veux que j'aime jusqu'au bout,
Fais que celui que j'estime mon tout,
Qui seul me peut faire pleurer et rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son âme,
Ou plus ardente, ou bien égale flamme.
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand avec moi quelqu'un le portera.
Louise Labé
Sonnets
1555
Un poème suppliant
- Le poème commence par une adresse directe aux "Dames Lyonnaises", renforcée par le "vous" : "vous lirez".
La poétesse écrit pour des femmes, elle écrit pour qu'on la lise plus tard. - Le poème est suppliant. La poétesse demande aux Dames de ne pas la juger. C'est un appel à ne pas "blâmer", à ne pas "condamner".
On y retrouve le thème de la faute avec "erreur". - La poétesse va chercher à se justifier dans le poème. Elle va expliquer pourquoi elle est innocente.
Le lyrisme
- La poétesse est présente comme le souligne la répétition du "je". Le poème est lyrique, la femme exprime ses sentiments.
- On peut remarquer l'interjection lyrique "Ô".
- Les phrases exclamatives et interrogatives sont nombreuses et la ponctuation est expressive.
- On note aussi plusieurs anaphores d'insistance : "l'un", "le temps", "n'est-il".
- Le champ lexical de la souffrance contribue au lyrisme : "regrets", "ennuis", "dépit", "larmes", "pitoyables", "pleurer", "soupir", "las".
- La poétesse souffre et pleure.
La poétesse innocente
- Le poème semble être une façon de prouver l'innocence. La poétesse oppose son "erreur" à celles plus graves d'autres hommes.
Elle veut convaincre qu'elle n'est pas si coupable, qu'elle n'est pas mauvaise. - Elle généralise son propos. À "je" elle oppose plusieurs "l'un".
- Elle expose les vices des autres hommes : envie, guerre, avarice, mensonge.
- Elle met en avant une question rhétorique avec un enjambement. La question est de savoir qui sur Terre n'est pas "vicieux". Tout le monde à des vices.
- Le sien en comparaison est faible, c'est juste l'amour. De plus, elle ne l'a pas choisi.
- Elle était très jeune quand elle est tombée amoureuse. Son innocence est mise en avant par la répétition de l'âge: "jeunesse", "simplesse", "vert âge", "seize Hivers".
- Avant, elle ne s'intéressait qu'à la guerre et aux études. L'amour a attaqué la poétesse.
La passion amoureuse malheureuse
- Le crime de la poétesse est d'avoir aimé.
- Le champ lexical de l'amour est présent tout au long du texte : "amour", "tendre", "ardente", "flamme", "feu", "cœur".
- L'amour est même personnifié avec le choix d'écrire le mot avec un "A" majuscule. Il parle, s'adresse à la poétesse : "Tu penses donc".
- C'est un amour violent : "il me prit". La poétesse utilise le mythe de Cupidon, un amour qui "chasse" et envoie une flèche : "archer", "vainqueur".
- C'est un amour qui dévore tout l'être : "os", "sang", "âme", qui ne s'éteint pas mais "augmente".
- Il est lié aux "tourments" et s'oppose à la raison.
Le thème de la religion
- C'est un poème de l'expiation. La poétesse essaie d'attendrir, elle veut qu'on lui pardonne.
- La religion a ici beaucoup d'importance, comme le prouve la référence faite aux "Cieux" et le champ lexical de la religion : "dieu", "cieux", âme", "foi", "profane".
- Les vices humains, les péchés capitaux, sont mentionnés : envie, avarice, mensonge.
- De la même façon, le poème fait mention aux "Enfers" et à "Dieu".
Une élégie avec des références antiques
- Le ton plaintif du poème et la souffrance amoureuse en font une élégie.
- La poétesse utilise beaucoup les références antiques.
- Plusieurs noms de femmes de l'Antiquité ou de la Renaissance sont cités : "Pallas", "Marphise", "Médée", "Oenoné".
- La poétesse rappelle les amours malheureux de Médée et Oenoné, abandonnées respectivement par Jason et Paris. Les hommes jettent les femmes qui, elles, continuent de les aimer. Elle dénonce l'injustice de l'amour.
- On trouve la référence à deux dieux : le dieu de la guerre Mars et le dieu de l'amour Cupidon.
Pourquoi peut-on dire que ce poème est une élégie ?
I. Un poème plaintif
II. Le lyrisme
III. La souffrance amoureuse
Comment la poétesse justifie-t-elle sa faute ?
I. L'adresse aux Dames Lyonnaises
II. La comparaison à de graves péchés
III. Une jeunesse violentée par l'Amour
Comment la poétesse décrit-elle l'amour ?
I. La personnification de l'Amour
II. La violence des sentiments
III. L'amour malheureux