Sommaire
IUn sonnet classiqueIIUn thème réalisteIIILa violence de la guerreIVLe registre pathétiqueVUne critique de la religionLe Mal
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;
Tandis qu'une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
- Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !… -
Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
Arthur Rimbaud
Poésies
1870
Un sonnet classique
- Ce poème est un sonnet classique en apparence, constitué de deux quatrains et de deux tercets dont les vers sont en alexandrins. Le poète joue cependant avec la codification des rimes car les deux premiers quatrains sont constitués de rimes croisées ensuite, un quatrain de rimes embrassées est suivi d'un distique de rimes plates contrairement à la tradition. Le fait d'inverser la disposition des rimes a pour effet de renforcer la pointe du dernier vers.
- Le poète joue également avec la construction en miroir du sonnet qui vise à opposer les deux quatrains aux deux tercets. Ici, chaque partie du poème est centrée sur une critique bien précise.
- Le thème du sonnet est lié à la guerre, ici dénoncée de manière virulente par le jeune Rimbaud alors âgé de seize ans.
Un thème réaliste
- Ce sonnet propose deux critiques bien distinctes quoiqu'intrinsèquement liées. Ce qui relie les personnages de ce texte, c'est la souffrance qui s'acharne sur les plus faibles, sur les plus pauvres.
- Il y a tout d'abord une opposition entre la masse de soldats anonymes qui meurt sur le front et le roi, mis en valeur par l'article indéfini "un" qui semble suggérer que tous les rois sont identiques, obnubilés par le pouvoir et la victoire. Au lieu de les encourager et d'aller au front avec eux, il se contente de les railler. Ce sont donc les pauvres qui meurent au front et non les riches qui ont les moyens de se faire remplacer.
- La description de ces scènes est précise et réaliste. Le poète prend appui sur des chiffres : "cent milliers d'hommes". L'aspect itératif de la scène est suggéré par les termes "tandis que" et "tout le jour". Quant à la nature, elle s'oppose à ce carnage, elle semble calme, sereine et les termes qui lui sont associés constituent une antithèse avec ce qui précède : "ciel bleu".
- On relève également un rythme ternaire : "dans l'été", "dans l'herbe", "dans ta joie".
- La folie est donc humaine, elle n'est pas naturelle car les hommes ont été faits "saintement".
La violence de la guerre
- Dès les premiers mots du poème et durant les deux quatrains, le lecteur est marqué par la violence des propos tenus par le poète. Les sens sont sollicités et cela débute par la vue. La personnification des coups de feu "crachats rouges de la mitraille" renvoie immédiatement au sang craché par les soldats blessés par les balles.
- Des couleurs sont mentionnées : "rouge", "bleu", "écarlates", "verts", "or", "noir". Les couleurs sont vives au départ puis se confondent dans le noir, la couleur du deuil.
- L'ouïe est également sollicitée à travers des allitérations en [k] et [r] : "crachats", "rouges", "mitraille", "écarlates", "raille", "croulent". Ces sons durs et agressifs imitent le bruit des tirs mais aussi des crachats et le bruit des impacts de balles.
- De même, la ponctuation expressive et la dislocation des vers, les tirets, les propositions juxtaposées créent une sorte de confusion générale et de déstructuration des propos, la panique et les plaintes : "Pauvres morts !", "Nature !", "ô".
Le registre pathétique
- Le poème décrit une bataille, toutefois, ce n'est pas le registre épique qui est convoqué mais le registre pathétique, tout d'abord à travers l'image que le poète donne des soldats. Ceux-ci sont réduits à de la chair à canon. Les hyperboles des vers 4,5 et 6 accentuent l'impression de carnage : "en masse", "une folie épouvantable broie", "fait de cent milliers d'hommes un tas fumant".
- Ces soldats semblent abandonnés à leur triste sort, condamnés par un roi qui ne sait que les railler. Ils sont seuls sans le soutien de leur hiérarchie qui elle est en sécurité et les dénigre. Ils semblent également abandonnés de Dieu qui n'écoute pas les prières les concernant. Ce poème montre les soldats comme étant condamnés à la mort.
- Rimbaud ne se contente pas d'illustrer l'horreur de la guerre, il traite également des conséquences de celle-ci à l'arrière. Le registre pathétique repose cette fois-ci sur les figures féminines et plus particulièrement les "mères, ramassées / Dans l'angoisse" qui sacrifient jusqu'à leur dernier sous pour espérer revoir leur fils vivant. Le poète prend appui sur la figure universelle de la mère afin de renforcer son propos.
Une critique de la religion
- Les deux tercets sont eux consacrés à la critique anticléricale du sonnet. Après avoir montré les atrocités de la guerre, le poète insiste cette fois-ci sur l'autre versant. Si la guerre profite au roi, elle profite également à Dieu qui, non content d'avoir abandonné les hommes, profite des femmes et de leur détresse.
- Dieu est en effet montré de manière péjorative, il "rit", "s'endort" pendant les prières qu'il n'écoute donc pas. Il profite cependant des richesses accumulées grâce aux dons comme en témoignent les objets précieux évoqués dans le poème : "nappes damassées", "l'encens", "grands calices d'or". Ce dernier ne s'éveille qu'au bruit de l'argent que lui donnent les mères désespérées.
- À ces richesses symbolisées par "l'or" s'oppose le noir, couleur du deuil : "leur vieux bonnet noir". On relève également des éléments renvoyant à la misère : "un gros sou plié dans leur mouchoir", précision contenue dans la pointe qui témoigne de la préciosité de ce sou pour ces femmes qui n'ont presque plus rien mais qui se sacrifient pour un espoir qui restera vain.
Que dénonce ce poème ?
I. La souffrance des plus humbles
II. La guerre
III. La religion
Qu'est-ce qui fait la force de ce poème ?
I. La violence des deux quatrains
II. Le registre pathétique
III. La critique ouverte de la guerre et de la religion
Quel rôle joue la structure du poème ?
I. Une construction en miroir
II. La critique de la guerre sur le front
III. La critique de la guerre à l'arrière
Quelle vision Rimbaud donne-t-il de la guerre ?
I. Une injustice sociale
II. Un carnage humain
III. L'abandon de la religion