Il pleure dans mon cœur
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
Paul Verlaine
Romances sans paroles
1874
Un poème lyrique
- Ce poème lyrique évoque dès le titre la tristesse du poète à travers la métaphore de la pluie : "Il pleut dans mon cœur". Le lyrisme est renforcé par la construction même du poème, musical et rythmé à la manière de Verlaine. Les vers sont des hexasyllabes, ils constituent quatre quatrains dont les rimes suivent le schéma suivant : ABAA. Les mêmes rimes sont reprises dans les strophes une et trois ainsi que dans les strophes deux et quatre. Tout cela participe à créer une musique propre au poète.
- Le rythme évoquant la tristesse est également créé par les répétitions qui engendrent une sorte d'écho plaintif. Les mots "cœur", "pluie", "raison" et "peine" ainsi repris à la rime y participent tout comme les apostrophes lyriques : "Ô bruit", "Ô le chant".
- Le poète et ses sentiments sont donc au cœur du texte à travers la métonymie construite sur le "cœur" du poète. Bien qu'il souffre, il est vivant.
Un paysage
- Le poète semble contemplatif face à la pluie qui tombe. L'image qui se créée est celle d'un poète mélancolique observant la pluie qui tombe sur "la ville". Face à ce sentiment, il est tout d'abord surpris, s'interrogeant : "Quelle est donc cette langueur / Qui pénètre mon cœur ?".
- Cette tristesse ne semble pas avoir d'origine connue par le poète. Cette incompréhension est également marquée par l'exclamation "Quoi !" au vers 11.
- Le texte suit le regard du poète, lequel se pose au vers 6 "par terre et sur les toits", ce qui constitue une opposition comme s'il ne savait où regarder.
- La monotonie du paysage décrit, de la pluie, est renforcée par les figures de répétition et les anaphores : "il pleure". On relève également des parallélismes de construction : "Ô bruit doux de la pluie !", "Ô le chant de la pluie !".
- Le bruit doux et le chant presque silencieux renforcent encore cette impression de lassitude accentuée par l'assonance en [eur] et les allitérations en [p] et en [r] qui évoquent le son des gouttes (et des larmes) : "pleure", "cœur", "pleurs", "langueur", "pénètre", "pluie", "pour", "par".
La souffrance du poète
- La souffrance du poète est illustrée à travers la description d'un paysage pluvieux qui illustre le paysage intérieur du poète en proie très certainement à un chagrin d'amour.
- Le registre pathétique suscite chez le lecteur un sentiment de compassion. Il est créé par le lexique de la tristesse : "langueur", "ennui", "pleurs", "s'écœure", "trahison", "peine", "deuil", "haine".
- La peine l'emporte car ce terme apparaît à deux reprises dans la dernière strophe et c'est sur ce mot que se clôt le poème, c'est la dernière impression qui imprègne le poète.
- Le poète n'est pas parvenu à oublier sa tristesse grâce au poème, il est seul plus que jamais comme le souligne le parallélisme de construction, basé sur la répétition de la préposition "sans" : "sans amour et sans haine", le poète semble vidé de toute émotion.
Le vide
- Dans ce poème, le poète souffre mais il ne s'épanche pas dans de longues envolées lyriques, le style est maîtrisé et le poète semble avant tout vidé, comme s'il plongeait dans un état de dépression profonde. Il n'éprouve plus d'amour ni même de haine.
- Alors qu'il s'agit d'un poème lyrique, le poète n'apparaît pas directement, il n'y a aucune trace de lui si ce n'est à travers la mention de son "cœur". Il n'agit pas, le pronom personnel "je" n'est pas employé.
- À la place, des tournures impersonnelles sont présentes, et ce dès le premier vers du poème : "il pleure", "il pleut" comme si le poète se sentait incapable d'agir voire même de pleurer. Il est en position de soumission, il subit ce qui lui arrive et ne semble plus avoir la force de se battre.
La mort
- Si le poète se sent impuissant c'est certainement car il ne peut rien faire pour lutter contre ce qui lui arrive : la mort.
- La présence de cette dernière est perceptible à travers l'expression "pire peine" et "ce deuil" ainsi que la répétition des termes "sans raison" qui insistent sur l'aspect arbitraire de la mort qui frappe au hasard de manière arbitraire. Face à cela, le poète est écœuré, il ne sait comment réagir, il plonge dans une profonde mélancolie suggérée par l'"ennui".
- D'ailleurs, le poète semble s'effacer au fur et à mesure que le poème se déroule. Il y a tout d'abord un mouvement venant de ce qu'il voit qui semble se refléter en lui. Ensuite, lorsqu'il répète la métonymie le désignant, à travers le terme "cœur", une légère modification est opérée : il passe de "mon cœur", à "un cœur" avant de lire enfin "ce cœur". Peu à peu, il disparaît.
Quel est l'objet de ce poème ?
I. La mélancolie
II. La perte
III. La souffrance du poète
Quel rôle joue la pluie dans ce poème ?
I. Un paysage monotone
II. Un paysage intérieur
III. La mélancolie du poète
En quoi ce poème est-il musical ?
I. La construction du poème
II. Les répétitions
III. Le jeu sur les sonorités
Comment les sentiments du poète apparaissent-ils ?
I. Le registre lyrique
II. La monotonie
III. La tristesse