Sommaire
IUn sonnet rigoureuxIILe thème du voyageALe voyage formateurBRome magnifiéeIIIUn texte humanisteIVUne construction en miroirVUn poème nostalgiqueHeureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.
Joachim du Bellay
Les Regrets
Un sonnet rigoureux
- Ce poème est un sonnet marotique. Le sonnet est une forme fixe créée par Pétrarque en Italie et importée en France par Marot au cours de la Renaissance. Un sonnet correspond à des règles précises qui sont ici respectées : deux quatrains et deux tercets se répondant (construction en miroir) écrits en alexandrins, alternance de rimes masculines et féminines qui constituent des schémas bien précis de rimes (embrassées, distique de rimes plates, embrassées), le dernier vers, quant à lui, constitue la pointe du poème.
- Le thème du poème est en lien avec les sujets humanistes abordés par les poètes de La Pléiade. Ici, l'Italie, berceau de la Renaissance italienne et des arts, est au cœur du poème.
- Le premier tercet est construit de manière impersonnelle, il parle d'un voyageur anonyme. Cependant, à partir de la deuxième strophe, le poème devient plus personnel car le pronom "je" est employé à deux reprises tout comme les déterminants possessifs : "mon", "mes", "ma". Le poème relate donc une expérience personnelle ayant une portée universelle renforcée par le registre lyrique.
Le thème du voyage
Le voyage formateur
- Les humanistes prônent les mérites du voyage qui permet à l'Homme la découverte de nouvelles contrées et de nouvelles mœurs. L'ouverture d'esprit et les découvertes par l'expérience font partie des doctrines humanistes. Selon Montaigne, il faut "frotter sa cervelle contre celle d'autrui". C'est ainsi que dans ce poème, des termes positifs sont associés au voyage entrepris : "heureux qui", " beau voyage", "retourné plein d'usage et raison". Le voyageur retourne chez lui en ayant appris.
- De plus, le poète établi une comparaison avec des voyageurs illustres, hérités de l'Antiquité : "Ulysse" ou encore Jason à travers la périphrase "Cestuy là qui conquit la toison". Le voyageur humaniste se place alors dans la lignée des plus grands héros de la mythologie.
Rome magnifiée
- La ville de Rome est présentée de manière positive dans le texte. Le poète insiste surtout sur sa grandeur architecturale et sa richesse géographique : "palais Romains", "le marbre dur", "le Tibre latin","le mont Palatin", "l'air marin". La diérèse portant sur l'adjectif "audacieux" renforce l'aspect imposant de son "front" déjà souligné par la personnification.
- La ville est donc caractérisée par sa grandeur et sa magnificence mais également par sa dureté et une certaine froideur auxquelles font référence le "marbre". Il semble donc que cet éloge soit paradoxal.
- Le poète s'inscrit dans la lignée des auteurs humanistes de l'époque pour qui l'Italie reste le berceau de l'art tout en éprouvant une certaine nostalgie à l'égard de son pays, la France : "Quand reverrai-je hélas" (v.5).
Un texte humaniste
- Les valeurs humanistes sont présentes dans ce poème à travers le voyage et l'apprentissage : "plein d'usage et raison" mais également à travers les allusions aux textes antiques fondateurs.
- La prise de Constantinople en 1453 par les Turcs eut pour conséquence le rapatriement des textes antiques. Les érudits européens ont alors accès aux textes fondateurs originels. C'est pourquoi les humanistes font régulièrement référence à la culture de l'Antiquité et à Rome, symbole de la puissance romane de l'Antiquité : "Ulysse", "la toison", "le Tibre", "le mont Palatin".
- Enfin, les humanistes placent l'Homme au centre des préoccupations de l'époque. Ils pensent que l'éducation est le meilleur moyen de rendre l'humanité meilleure, c'est pourquoi l'Homme doit voyager mais aussi se contenter d'une vie humble. La figure du savant humaniste est différente des siècles antérieurs, le savant n'est pas isolé des hommes, il ne les domine pas du haut de ses connaissances, il vit parmi eux afin de transmettre ce qu'il sait. C'est pourquoi les allusions au passé du poète sont modestes : "vivre entre ses parents", "mon petit village".
Une construction en miroir
- La construction en miroir vise à opposer les deux quatrains aux deux tercets et elle est caractéristique du sonnet. Ici, elle permet au poète de confronter encore plus aisément les deux pays sur lesquels repose le texte : l'Italie et la France.
- Le Liré, pays natal du poète est caractérisé par sa simplicité et une certaine douceur comme le suggèrent les termes employés : "mon petit village", "ma pauvre maison", "l'ardoise fine", "mon Loire gaulois", "mon petit Liré", "la douceur angevine". Le poète semble attaché à sa terre dont il parle avec tendresse comme en témoigne l'emploi des possessifs : "mon", "ma", "mes".
- Rome, au contraire, est décrite, certes de manière positive, mais sa grandeur est associée à une certaine dureté, ce qui crée un contraste saisissant entre les deux lieux.
- Les sonorités employées tout au long du texte renforcent également l'impression de douceur et de dureté. Les sons associés au Liré sont doux car constitués d'une allitération en [l], [m], et [n] : "me", "mes", "fines", "mon", "angevine", "la", "l'ardoise", "Loire". Inversement, les sons associés à Rome sont durs car constitués de dentales formant une allitération en [t] et [d] : "dur", " Tibre latin", "Palatin" .
Un poème nostalgique
- Le poète semble apprécier la grandeur de Rome mais il semble surtout regretter son pays natal. Cela fait bien entendu référence à la vie de Du Bellay car le poète s'est lui-même retrouvé exilé en Italie sans avoir, durant de longues années, la possibilité de retourner en France. Le titre du recueil fait également référence à ce sentiment : Les Regrets.
- Le second quatrain décrit le foyer du poète qui semble humble mais sécurisant : "mon petit village", "ma pauvre maison", "le clos", "fumer la cheminée". Cette atmosphère sera reprise dans le premier quatrain à travers la référence à l'héritage familial : "le séjour qu'ont bâti mes aïeux" (v.7).
- Le regret est également renforcé grâce à la tonalité élégiaque conférée au poème. Cela est perceptible à travers la ponctuation expressive : le premier quatrain est constitué d'une seule phrase exclamative et le second d'une phrase interrogative. L'interjection "Hélas", placée à la césure du vers 4 ainsi que les anaphores des vers 9,11,12,13 renforcent encore l'aspect plaintif du sonnet. Enfin, le futur employé dans la formule "Quand reverrai-je", témoigne de l'inquiétude du poète exilé qui ne sait pas s'il reverra son pays un jour.
En quoi ce texte est-il humaniste ?
I. Les références à l'Antiquité et à Rome
II. Le voyage
III. L'humilité du poète
En quoi ce texte est-il construit sur une opposition ?
I. La grandeur de Rome
II. La douceur angevine
III. La nostalgie du poète
Quelle est la fonction du voyage dans ce poème ?
I. Le voyage humaniste
II. Le retour aux sources antiques
III. Le voyage comme source de regrets
En quoi ce poème est-il élégiaque ?
I. La présence du poète
II. Le récit d'une expérience personnelle
III. Le registre lyrique