Sommaire
IL'opposition "hier" et "aujourd'hui"AAujourd'hui : un monde détruitBHier : le paradisIIL'enfant, symbole de l'innocenceIIILe registre pathétiqueIVLe registre tragiqueVLe poète, consolateur et dénonciateurL'Enfant
Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
- Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
Victor Hugo
Les Orientales
1828
L'opposition "hier" et "aujourd'hui"
Aujourd'hui : un monde détruit
- Le poème est divisé entre deux oppositions : hier et aujourd'hui.
- Le poème commence par aujourd'hui. C'est la description d'un monde apocalyptique.
- Victor Hugo utilise le passé composé. Le mal est fait, il décrit le paysage après le passage des ennemis : "Les turcs ont passé par là".
- Le champ lexical est celui de la destruction et de la mort : "ruine" et "deuil".
- Le poète parle de "sombre écueil". La destruction est totale : elle est matérielle et humaine.
- Le poète se concentre sur un enfant qui est seul au milieu du paysage. Cette image très forte souligne l'impression de désolation.
- On relève l'anaphore de "tout". Tout est détruit. C'est le caractère total et général de la désolation.
- Les alexandrins et les octosyllabes permettent de créer un rythme fait d'harmonie et de chaos : il y a des ruptures.
- À plusieurs reprises, Victor Hugo casse le rythme en utilisant des enjambements.
- Il y a une allitération en "r" qui permet de renforcer le sentiment désolation.
Hier : le paradis
- Le poète décrit un monde perdu.
- Avant le passage des Turcs, "hier", l'île était paradisiaque. C'était un endroit où les gens étaient heureux.
- Le temps utilisé est l'imparfait : "ombrageait", "reflétait". C'était le temps de la paix et de la joie qui est désormais révolu. L'imparfait est utilisé pour décrire, pour exprimer la durée. Victor Hugo crée ainsi un tableau idyllique. On a l'impression que le bonheur régnait sur l'île depuis longtemps avant la guerre.
- Les rimes qui encadrent la description idyllique sont "charmilles" et "jeunes filles". Ces termes s'opposent à ceux des premiers vers, "deuil" et "écueil". Il y a une réelle opposition.
- Le poème est élégiaque. Cela signifie qu'il est lyrique et triste à la fois. Le poète se lamente sur le passé perdu.
- Pour décrire l'île d'autrefois, Victor Hugo insiste sur la nature. C'était "l'île des vins", ce qui laisse entendre qu'il y avait des vignes, et l'évocation du vin rappelle une ambiance de fête. Cette idée de fête est renforcée par la mention des jeunes filles qui dansent.
- C'était une île riche : "Ses coteaux, ses palais".
L'enfant, symbole de l'innocence
- L'enfant est l'image de la pureté et de l'innocence.
- Il apparaît dès le titre. L'enfant devient universel, il représente tous les enfants, il symbolise l'enfance. C'est la fragilité. En choisissant comme titre "L'Enfant", le poète généralise son propos.
- L'enfant a une dimension symbolique. Il représente les victimes de la guerre.
- L'enfant est la pureté, il est associé à la fleur blanche d'aubépine. Le blanc est une couleur symbolique d'innocence et de pureté. Le terme "aubépine" vient d'"alba" qui signifie "blanc". C'est l'idée de virginité, de l'être immaculé.
- L'enfant est blond, il ressemble à l'idée qu'on se fait d'un ange. Victor Hugo est croyant, il n'utilise pas ces images au hasard.
- Le poète évoque aussi le bleu des yeux de l'enfant : "comme le ciel est comme l'onde". C'est la couleur du ciel et aussi de la robe de la Vierge Marie.
- Le poème a donc une dimension spirituelle et mystique.
- Il y a une allitération en "b" qui est associée à tout ce qui est positif : "blanche", "blonde", "bleu", "bel", "beaux".
- Les couleurs que Victor Hugo utilise pour décrire l'enfant contrastent avec la grisaille autour. Les murs sont "noircis". L'enfant est la seule touche "colorée" dans l'univers détruit.
Le registre pathétique
- Pour provoquer la pitié du lecteur, Victor Hugo utilise le registre pathétique.
- Le poème évoque à plusieurs reprises l'idée de souffrance.
- L'enfant est orphelin, il est seul. Il semble le dernier survivant "dans le grand ravage oubliée", "seul près des murs noircis".
- Le champ lexical du chagrin est manifeste : "pleurs", "chagrin nébuleux", "larmes".
- L'enfant est décrit avec sa "tête humiliée".
- Victor Hugo utilise une métaphore : "Ces cheveux (…) / Qui pleurent épars autour de ton beau front." Les cheveux sont comme des larmes, on peut penser au saule pleureur.
Le registre tragique
- Victor Hugo utilise un registre tragique pour évoquer la mort et l'idée de fatalité.
- La vision peinte dans le poème est tragique : l'enfant est seul, abandonné, c'est une image terrible.
- La chute du poème est violente et dure. Au début, Victor Hugo semble écrire un poème élégiaque. Il évoque le paradis perdu. Puis il parle du paysage ravagé. Vers la fin, une voix se fait entendre et s'adresse à l'enfant. Cette voix lyrique tente de consoler l'enfant. Elle propose des cadeaux, parle du jardin d'Éden.
- Mais la fin du poème fait taire cette voix, il n'y a plus d'espoir. L'enfant ne veut pas de la paix, il est traumatisé et perdu. Il veut se venger : "je veux de la poudre et des balles". Cette dernière phrase est simple et radicale. La guerre a tué l'enfance. Même la poésie ne peut pas rétablir la paix. L'enfant reste sourd aux belles images, il ne peut plus apprécier la vie et la beauté.
- Le poème est tragique car à la fin c'est la mort, le néant et la destruction qui ont gagné. Il n'y a pas d'espoir.
Le poète, consolateur et dénonciateur
- La voix qui s'adresse à l'enfant n'est pas identifiée précisément. Mais on peut supposer qu'il s'agit du poète.
- Le poète s'exprime avec lyrisme. Il parle de sensations heureuses, de la vue et de l'odorat. Il évoque le lys, le fruit tuba, le chant de l'oiseau.
- La fonction première de la poésie, avec Orphée, est de consoler par la musique. C'est ce que tente de faire le poète avec l'enfant.
- Mais le poète échoue. La poésie ne peut rien face à l'horreur de la guerre. Aucun mot ne peut consoler.
- Ce poème met en avant deux rôles différents du poète. Il est celui qui tente de redonner l'espoir, de jouer avec la musicalité des mots pour apaiser. Mais Victor Hugo croit que le poète ne peut pas consoler de la guerre.
- Le poète par contre peut dénoncer. C'est ce que fait Victor Hugo ici. En dressant un tableau pathétique et tragique des ravages de la guerre, il s'y oppose violemment et la condamne sans condition.
En quoi ce poème est-il singulier ?
I. De l'élégie au tragique
II. Un poème bâti sur une opposition
III. L'échec du poète
Dans quelle mesure ce poème est-il tragique ?
I. Un paysage ravagé par la guerre
II. L'image de l'enfant abandonné
III. La fin tragique
Dans quelle mesure peut-on dire que ce poème est un poème engagé ?
I. Le paysage ravagé par la guerre
II. L'absence d'espoir
III. Une dénonciation de l'horreur de la guerre