Le Dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : C'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
Poésies
1870
Un sonnet de structure classique
- Ce poème est un sonnet classique en apparence, constitué de deux quatrains et de deux tercets. Les vers sont des alexandrins, les rimes croisées sont suivies d'un distique (couple de deux vers formé d'un hexamètre et d'un pentamètre) de rimes plates avant d'être embrassées. Le poète conserve l'alternance de rimes masculines et féminines et ménage une pointe lors du dernier vers. Cette pointe joue parfaitement son rôle à travers la périphrase désignant la blessure mortelle du soldat, révélant ainsi sa mort et invitant le lecteur à relire le poème à la lumière de cette information.
- Le thème semble à première vue tout à fait ordinaire, il s'agit d'un poème descriptif dépeignant un jeune homme en train de dormir au sein d'une nature protectrice et accueillante. Cependant, la pointe du sonnet s'attache particulièrement à la portée critique du texte renvoyant aux morts de la guerre contre la Prusse.
La nature
- Le thème de la nature est présent tout au long du poème et ce depuis le premier vers qui y fait référence de manière accentuée à travers le présentatif "C'est", suivi d'une allusion protectrice : "un trou de verdure où chante une rivière".
- Les termes désignant la nature sont tous positifs et renvoient à la nature maternelle : "le soleil de la montagne fière / Luit, un petit val qui mousse de rayons", "le frais cresson bleu", "Nature, berce-le chaudement".
- Les verbes et adjectifs employés la personnifient, elle est vivante et bouge, ce qui accentue l'écart entre elle et le jeune homme immobile.
- La nature est également omniprésente puisqu'elle apparaît à travers quatre éléments : "la rivière" (l'eau), "l'herbe" et "les glaïeuls" (la terre), "le soleil" (le feu) et les "parfums" (l'air).
- La nature est vivante mais également animée par un esprit de vie, d'optimisme, comme c'est le cas au printemps ou durant l'été. La rivière "chante", tout en "accrochant follement aux herbes des haillons d'argent". La lumière semble également très forte comme en plein été car "la lumière pleut".
- Il est fait référence au "soleil", à la chaleur, puisque le poète demande à la nature à travers une apostrophe au vers 11 de le bercer "chaudement".
Les sens
- Ce poème descriptif est tellement précis que le lecteur visualise parfaitement la scène proposée. Cela est possible grâce au procédé de l'hypotypose qui rend la description animée et frappante. Les sens mis en éveil à travers ce poème permettent en effet de se projeter dans le paysage décrit. Ce qui est tout de même paradoxal, c'est que la nature est vivante alors que le personnage humain est immobile, tel un objet.
- Le poète convoque donc les sens du lecteur. La vue tout d'abord est sollicitée à travers les couleurs et les éléments visuels : "verdure", "d'argent", "luit", "rayons", "bleu", "vert", "lumière", "soleil, "rouge".
- Ensuite, dès le premier vers, un verbe éveille l'ouïe et crée une ambiance sonore agréable et apaisante : "chante".
- Enfin, le toucher apparaît à travers la fraîcheur du "cresson bleu" (v. 6). L'odorat est également évoqué par le biais des "parfums" mais ceux-ci sont suivis d'une négation : "ne font pas frissonner sa narine", ce qui amorce un changement dans le poème.
Un dormeur
- Dès le titre, le poète invite ses lecteurs à considérer le jeune soldat comme un dormeur : "le dormeur du val".
- Cette idée est développée tout au long du poème à travers des termes renvoyant au sommeil. Le verbe "Dort", placé en rejet au vers 7, est mis en valeur par le point-virgule, le lecteur fait donc une pause et s'arrête comme pour mieux l'observer. Ce verbe est d'ailleurs répété aux vers 9 et 13 puis à travers l'expression familière : "il fait un somme".
- Le jeune homme semble détendu et serein : "il est étendu dans l'herbe", "la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Les pieds dans les glaïeuls, la main sur sa poitrine / Tranquille."
- Le dernier indique au lecteur que tout cela est en réalité un euphémisme et que le jeune homme est mort.
Une satire de la guerre
- La construction antithétique du poème opposant la vivacité de la nature à l'immobilité du dormeur laisse présager la chute du sonnet. De même, tout au long du poème, Rimbaud amène peu à peu le lecteur vers cette réalité tragique. Ainsi, le portrait du jeune homme peut être relu à la lumière du dernier vers et chaque allusion peut être porteuse d'un double sens.
- La "bouche ouverte" laisse s'échapper un cri ou le dernier souffle du soldat.
- "La tête nue" peut signifier que, sous le choc, le couvre-chef est tombé loin du corps.
- "La nuque baignant" dans le cresson peut également baigner dans le sang.
- Il est "étendu dans l'herbe" telle une marionnette.
- L'adjectif "pâle" renvoie à la pâleur cadavérique tout comme la comparaison "souriant comme / Sourirait un enfant malade".
- Il a "froid" et n'est plus sensible aux odeurs.
- La critique de la guerre est perceptible à travers l'antithèse qui sous-tend tout le texte. Plus le cadre est beau et apaisant, plus la mort signalée par les deux "trous rouges au côté droit", symbolisant les impacts de balles, est cruelle. Le soldat est jeune, il est comparé à un enfant ce qui lui confère une certaine pureté et une innocence. Il sourit et semble heureux, bercé par les bras de la Nature qui renvoie à la figure maternelle, à toutes les mères qui ont pleuré la perte de leur fils mort durant cette guerre.
En quoi ce sonnet est-il antithétique ?
I. La nature bienveillante
II. Un personnage endormi
III. L'allusion tardive à la mort
Comment ce poème dénonce-t-il la guerre ?
I. La mère nature bienveillante
II. Un jeune homme endormi
III. L'intrusion de la mort
Quel est l'effet de la chute ?
I. Un poème positif sur la nature
II. Un poème présentant un jeune homme insouciant
III. Une relecture éclairée du sonnet
Qu'est-ce qui fait la modernité de ce poème ?
I. Une forme classique
II. Un thème ordinaire et positif
III. Un usage original de la pointe