Sommaire
ILe choix du sujet journalistique : faire sensationIILa présentation de l'article, un spectacleIIIL'écriture de l'article : ironie de MaupassantIVLa corruption journalistiqueVBel-Ami et les femmesLe bonhomme sourit et reprit :
- La voie qu'ils comptent suivre, bien entendu. Mais il me faudrait quelque chose d'intéressant sur la question du Maroc, une actualité, une chronique à effet, à sensation, je ne sais quoi ? Trouvez-moi ça, vous.
Du Roy réfléchit une seconde, puis répondit :
- J'ai votre affaire. Je vous donne une étude sur la situation politique de toute notre colonie africaine, avec la Tunisie à gauche, l'Algérie au milieu, et le Maroc à droite, l'histoire des races qui peuplent ce grand territoire, et le récit d'une excursion sur la frontière marocaine jusqu'à la grande oasis de Figuig où aucun Européen n'a pénétré et qui est la cause du conflit actuel. Ça vous va-t-il ?
Le père Walter s'écria :
- Admirable ! Et quel titre ?
- De Tunis à Tanger !
- Superbe.
Et Du Roy s'en alla fouiller dans la collection de la Vie Française pour retrouver son premier article : "Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique", qui, débaptisé, retapé et modifié, ferait admirablement l'affaire, d'un bout à l'autre, puisqu'il y était question de politique coloniale, de la population algérienne et d'une excursion dans la province d'Oran.
En trois quarts d'heure, la chose fut refaite, rafistolée, mise au point, avec une saveur d'actualité, et des louanges pour le nouveau cabinet.
Le directeur, ayant lu l'article, déclara :
- C'est parfait… parfait… parfait. Vous êtes un homme précieux. Tous mes compliments.
Et Du Roy rentra dîner, enchanté de sa journée, malgré l'échec de la Trinité, car il sentait bien la partie gagnée.
Sa femme, fiévreuse, l'attendait. Elle s'écria en le voyant :
- Tu sais que Laroche est ministre des affaires étrangères.
- Oui, je viens même de faire un article sur l'Algérie à ce sujet.
- Quoi donc ?
- Tu le connais, le premier que nous ayons écrit ensemble : "Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique", revu et corrigé pour la circonstance.
Elle sourit.
- Ah ! oui, mais ça va très bien.
Puis après avoir songé quelques instants :
- J'y pense, cette suite que tu devais faire alors, et que tu as… laissée en route. Nous pouvons nous y mettre à présent. Ça nous donnera une jolie série bien en situation.
Il répondit en s'asseyant devant son potage :
- Parfaitement. Rien ne s'y oppose plus, maintenant que ce cocu de Forestier est trépassé.
Elle répliqua vivement d'un ton sec, blessé :
- Cette plaisanterie est plus que déplacée, et je te prie d'y mettre un terme. Voilà trop longtemps qu'elle dure.
Il allait riposter avec ironie ; on lui apporta une dépêche contenant cette seule phrase, sans signature : "J'avais perdu la tête. Pardonnez-moi et venez demain, quatre heures, au parc Monceau."
Il comprit, et, le cœur tout à coup plein de joie, il dit à sa femme, en glissant le papier bleu dans sa poche :
- Je ne le ferai plus, ma chérie. C'est bête. Je le reconnais.
Et il commença à dîner.
Tout en mangeant il se répétait ces quelques mots : "J'avais perdu la tête, pardonnez-moi, et venez demain, quatre heures, au parc Monceau." Donc elle cédait. Cela voulait dire : "Je me rends, je suis à vous, où vous voudrez, quand vous voudrez."
Il se mit à rire. Madeleine demanda :
- Qu'est-ce que tu as ?
- Pas grand-chose. Je pense à un curé que j'ai rencontré tantôt, et qui avait une bonne binette.
Guy de Maupassant
Bel-Ami
1885
Le choix du sujet journalistique : faire sensation
- Maupassant élabore une dénonciation du journalisme. Il critique la volonté de sensationnalisme et le manque d'intérêt porté à l'actualité : "à effet", "à sensation".
- Il le souligne lorsqu'il évoque le choix du sujet, le directeur demande "quelque chose d'intéressant". L'article apparaît comme une chose avec l'appellation ironique de Maupassant "la chose".
- Les consignes éditoriales sont assez floues, l'important étant de faire de l'effet : il faut qu'il soit question du Maroc, que ce soit d'actualité, mais aussi une chronique.
La présentation de l'article, un spectacle
- On retrouve l'idée du spectacle. On ordonne "trouvez-moi ça", et tout de suite Duroy répond : "j'ai votre affaire" / "je vous donne".
- Duroy donne des indications sur ce qu'il va écrire. Cela ressemble à un fourre-tout : "étude sur la situation politique", "colonie africaine", "histoire des races", "récit d'une excursion".
- On ne comprend pas de quoi il s'agit, Duroy ne maîtrise pas la situation géographique : "la Tunisie à gauche, l'Algérie au milieu et le Maroc à droite".
- Ce qui importe, c'est le récit, l'action, l'idée d'une excursion où "aucun Européen" n'est allé. C'est assez ridicule car c'est ce qui doit expliquer "le conflit actuel". Il n'y a aucune logique.
- L'ironie est également présente dans la réaction du directeur, "Admirable !", "Superbe", alors qu'il n'a même pas lu l'article.
L'écriture de l'article : ironie de Maupassant
- L'écriture de l'article est ridicule. Duroy reprend son "premier article" qui avait eu du succès.
- L'écriture journalistique s'apparente à une arnaque, Duroy modifie simplement : "dépetisé", "retapé", "modifié", "refaite", "rafistolée", "mise au point". Duroy n'est pas un journaliste, c'est un bricoleur.
- L'ironie est également présente avec l'expression "saveur d'actualité". Pourtant le personnage met l'article au goût du jour.
- Il n'écrit qu'en trois quarts d'heure.
- La réaction du directeur, "parfait" trois fois, et le compliment fait à Duroy, "homme précieux", renforcent le ridicule de la situation.
La corruption journalistique
- Maupassant dénonce les journalistes. Ils n'écrivent pas de vrais articles d'actualité, ils sont satisfaits s'ils peuvent vendre. Ce qui compte, c'est de vendre. Le directeur est heureux car Duroy sait faire vendre, il écrit des articles qui plaisent au public. Il mélange tout, mais cela importe peu.
- De plus, la mention est faite aux relations entre le milieu journalistique et la politique. Duroy rajoute dans son article des "louanges pour le nouveau cabinet". Les journalistes sont hypocrites, ils se mettent le gouvernement dans la poche comme rappelé avec la femme de Duroy qui lui dit "Laroche est ministre des affaires étrangères".
Bel-Ami et les femmes
- Cet extrait permet aussi de montrer la relation que Duroy a avec les femmes.
- On apprend que sa femme l'a aidé à écrire son premier article. Il n'est donc même pas vraiment l'auteur du premier article.
- On sait par la femme de Duroy que ce dernier a abandonné son travail d'écriture, il ne fait que ce qui est facile : "la suite", "laissé en route".
- Il blesse sa femme, il n'a pas de tact : "cocu de Forestier est trépassé", qui réagit : "sec", "blessé".
- Duroy s'apprête à se montrer encore plus blessant "il allait riposter avec ironie". La raison pour laquelle il ne le fait pas est qu'il reçoit un billet d'une maîtresse, d'une autre femme. Donc il assure à sa femme qu'il ne le refera plus et s'excuse.
- On observe le double jeu de Bel-Ami : c'est un hypocrite, un homme qui trompe sa femme.
- Il voit l'amour comme une guerre : "riposter", "se rendre", "céder".
- Le mensonge final montre qu'il se moque d'un homme d'Église, il est méprisant.
Quel portrait est fait de Bel-Ami dans cet extrait ?
I. Un homme feignant
II. Un menteur
III. Un séducteur
En quoi cet extrait est-il une satire du journalisme ?
I. Un seul but : le sensationnalisme
II. Des réécritures de vieux articles
III. La corruption
En quoi cet extrait est-il ironique ?
I. Une satire du journalisme
II. L'écriture de l'article
III. Un portrait négatif de Bel-Ami