Sommaire
ILa relation entre les personnagesAUne certaine complicitéBLa dominationIIUn projet machiavéliqueALa méchancetéBLe désir de vengeanceIIIDes portraits méprisantsAGercourt, un prétentieux ridiculeBCécile, un pantinIVL'éloge du libertinageVDes héros négatifsAUne femme libreBDes antihérosVIL'utilité de la lettreLa Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont, au château de…
Revenez, mon cher Vicomte, revenez : que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués ? Partez sur-le-champ ; j'ai besoin de vous. Il m'est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l'exécution. Ce peu de mots devrait suffire ; et trop honoré de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres à genoux ; mais vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n'en usez plus ; et dans l'alternative d'une haine éternelle ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets : mais jurez-moi qu'en fidèle Chevalier, vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d'un Héros : vous servirez l'amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie de plus à mettre dans vos Mémoires : oui, dans vos Mémoires, car je veux qu'ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m'occupe.
Mme de Volanges marie sa fille : c'est encore un secret ; mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle ait choisi pour gendre ? Le Comte Gercourt. Qui m'aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt ? J'en suis dans une fureur… Eh bien ! Vous ne devinez pas encore ? Oh ! L'esprit lourd ! Lui avez-vous donc pardonné l'aventure de l'Intendante ? Et moi, n'ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous êtes? Mais je m'apaise, et l'espoir de me venger rassérène mon âme.
Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez ses ridicules préventions pour les éducations cloîtrées et son préjugé plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante milles livres de rente de la petite Volanges, il n'aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n'eût pas été au Couvent. Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot : il le sera sans doute un jour ; ce n'est pas là qui m'embarrasse : mais le plaisant serait qu'il débutât par là. Comme nous nous amuserions le lendemain en l'entendant se vanter ! Car il se vantera ; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris.
Au reste, l'Héroïne de ce nouveau Roman mérite tous vos soins : elle est vraiment jolie ; cela n'a que quinze ans, c'est le bouton de rose ; gauche à la vérité, comme on ne l'est point, et nullement maniérée : mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela ; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup de vérité : ajoutez-y que je vous la recommande ; vous n'avez plus qu'à me remercier et m'obéir.
Vous recevrez cette lettre demain matin. J'exige que demain à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu'à huit, pas même le régnant chevalier : il n'a pas assez de tête pour aussi grande affaire. Vous voyez que l'amour ne m'aveugle pas. À huit heures je vous rendrai votre liberté, et vous reviendrez à dix souper avec le bel objet ; car la mère et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé : bientôt je ne m'occuperai plus de vous.
Paris, ce 4 août 17…
Pierre Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses
1782
La relation entre les personnages
Une certaine complicité
- La marquise livre ici une confidence à Valmont. Elle fait preuve de sincérité et d'exclusivité. Elle lui avoue sa blessure, il est le seul à savoir que Gercourt l'a blessé.
- Une certaine complicité se dessine. On comprend qu'ils partagent une histoire commune, ils ont tous les deux été trahis par le passé. La marquise joue sur ce passé.
- La marquise n'hésite pas à exprimer ses sentiments. C'est une preuve de confiance. Le verbe "confier" est utilisé. Il y a de l'intimité entre les deux personnages.
- On comprend qu'ils ont été amants. La marquise le connaît bien. Elle sait comment le flatter, comment le convaincre.
La domination
- On peut parler de manipulation. La marquise sait ce qu'il faut dire à Valmont. Si le ton de la lettre est celui de la confidence, la tendresse est pourtant absente.
- La marquise donne des ordres. L'impératif est en effet très utilisé par l'auteur. Elle ne laisse pas le choix à Valmont. Elle écrit : "je veux", "j'exige". Elle domine cette relation. Dès le début de la lettre, elle commande : "Revenez".
- La relation n'est donc pas parfaitement réciproque.
- Le premier paragraphe souligne que Valmont est un pantin. Il se fait dicter sa conduite. La marquise se montre orgueilleuse. Elle semble certaine de son pouvoir sur lui. Comme une maîtresse, elle veut lui "confier l'exécution". Elle écrit : "prendre mes ordres à genoux". Valmont est un serviteur.
- La marquise souligne qu'elle fait honneur à Valmont, qu'en lui confiant cette mission elle l'élève. Elle écrit : "Je veux donc bien vous instruire de mes projets", "vous servirez l'amour et la vengeance", "vous n'avez qu'à me remercier et m'obéir".
Un projet machiavélique
La méchanceté
- La marquise pervertit des idéaux. Elle associe ainsi amour et vengeance. Ce n'est plus un bel amour héroïque et la vengeance courageuse. Il y a détournement de grande valeur. La marquise flatte Valmont. Elle détourne pour cela les valeurs chevaleresques dans le premier paragraphe (l'amour, le courage, la vengeance).
- La relation entre les deux personnages a pour but de faire du mal aux autres.
- Valmont a l'habitude de faire le mal : "ce sera enfin une rouerie de plus à mettre dans vos Mémoires." Ce n'est pas la première fois qu'ils projettent de blesser quelqu'un.
- L'évocation de "mémoires" que la marquise veut écrire elle-même souligne que les héros trouvent du plaisir à faire le mal, ils en sont fiers, ils se voient comme héroïques.
Le désir de vengeance
- Ce qui motive la marquise, c'est la vengeance. Cette dernière a quelque chose de ridicule et non pas d'héroïque. En effet, elle veut se venger d'un amant infidèle, alors qu'elle est elle-même libertine.
- Pour légitimer son projet, la marquise se donne le beau rôle. Elle justifie son dessein en se montrant comme une victime.
- "Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot." La marquise ne veut pas s'attaquer à Gercourt directement. Elle veut ruiner sa future femme pour le faire passer pour un crétin. Le projet est cruel. Elle ne s'attaque pas à l'homme, elle s'attaque à une innocente.
- Elle veut que Valmont séduise Cécile pour humilier Gercourt et ruiner sa réputation. C'est un projet libertin.
Des portraits méprisants
Gercourt, un prétentieux ridicule
- La marquise dresse un portrait sévère de Gercourt. Il est présenté comme un personnage ridicule et prétentieux. C'est un homme sûr de lui. La marquise est en vérité blessée, car il l'a trahie, et elle ne correspond pas à "l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura".
- La marquise se moque des idéaux de son ancien amant. Pour lui, la femme parfaite est une jeune femme blonde qui sort du couvent. Elle trouve cela ridicule.
- Elle écrit "Le Gercourt". Cela est méprisant.
- La marquise veut ruiner socialement son amant, pour le rendre parfaitement ridicule. Elle veut en faire "la fable de Paris".
Cécile, un pantin
- Cécile est le pantin. Elle est la victime innocente de ce projet machiavélique. Si la marquise s'attaquait uniquement à un ancien amant, il n'y aurait pas la dimension machiavélique. Mais elle sait très bien qu'elle va ruiner une innocente.
- La marquise décrit Cécile comme "l'Héroïne de ce nouveau Roman". Cela souligne qu'elle se voit comme une écrivaine, comme la maîtresse du destin de la jeune femme. Elle se donne le droit de la manipuler.
- Elle rappelle bien l'innocence de Cécile. Elle écrit "cela n'a que quinze ans" (mépris dans l'utilisation de "cela" pour qualifier Cécile) et "nullement maniérée". C'est une fille naïve.
L'éloge du libertinage
- La lettre est un éloge du libertinage. La marquise associe des termes ensemble qui sont d'habitude opposés, comme "amour" et "vengeance". Elle prétend rendre noble ce qui ne l'est pas.
- Elle met en place de nouveaux idéaux. La vengeance et l'artifice deviennent formidables.
- Elle insiste sur son amour-propre, sur le fait que Valmont va défendre son honneur en ruinant celui de Cécile. Elle parle de lui comme d'un "Héros" de "Mémoires". Elle pervertit ainsi le vocabulaire de la littérature et du roman héroïque.
- Elle parle de son projet comme de quelque chose de difficile et d'honorable. Elle et Valmont sont les maîtres, les autres des personnages, des pantins.
- Elle méprise l'innocence. Elle se moque des idéaux de pureté. Elle déclare la supériorité des libertins (elle et Valmont) sur les sots.
- Cette lettre symbolise le titre, Les Liaisons dangereuses.
Des héros négatifs
Une femme libre
- La marquise est montrée comme une femme forte.
- Elle est celle qui domine la relation.
- Elle méprise les amants : "pas même le régnant Chevalier". Elle se moque des amoureux de roman. Elle rejette l'idée de l'amour qu'on offre aux femmes dans la littérature. Elle refuse d'être soumise à un homme à cause de ses sentiments.
- Elle est plus intelligente que Valmont. Elle est celle qui met en place le projet.
- Elle se contrôle parfaitement : "Vous voyez que l'amour ne m'aveugle pas."
- C'est une femme indépendante qui regarde les hommes de haut. Son libertinage est une expression de sa liberté et de sa supériorité.
Des antihéros
- Les deux héros ne répondent pas à la définition traditionnelle de héros de roman. Ils sont négatifs. Ils veulent le mal. Ils ont pour idéaux le libertinage, les apparences, les intrigues.
- Le roman est écrit au siècle des Lumières. L'auteur pervertit l'idée de liberté et d'émancipation. Les philosophes utilisent les idées des Lumières pour faire le bien, pour proclamer la nature fondamentalement bonne de l'Homme. La marquise et Valmont utilisent cette liberté pour faire le mal.
- Ce sont des maîtres du mensonge et du vice.
L'utilité de la lettre
- La lettre sert d'exposition. Elle présente l'intrigue.
- Le lecteur découvre la marquise. il ne sait pas encore qui elle est. Elle sert à présenter le personnage.
- Le lecteur est plongé dans l'action. Il se demande pourquoi la marquise formule un tel projet, est-ce que Valmont va accepter, va-t-il réussir ?
- La lettre permet aussi de présenter Valmont comme un libertin menteur et manipulateur, Cécile comme une jeune femme innocente, et Gercourt comme un homme ridicule.
- La lettre s'impose comme un outil dangereux.
En quoi la lettre est-elle un outil dangereux qui permet de révéler le projet machiavélique des personnages ?
I. La relation des personnages
II. Un projet machiavélique
III. La lettre : une mise en abyme du roman
Quelle relation cette lettre établit-elle entre les personnages ?
I. Complicité et confidence
II. Une femme dominatrice
III. Des libertins
Quels sont les outils de la marquise pour convaincre Valmont de son projet ?
I. Le désir de vengeance
II. La flatterie
III. La gloire libertine
En quoi cette lettre est-elle un éloge du libertinage ?
I. Une redéfinition des valeurs héroïques
II. Une femme émancipée
III. Des héros négatifs