Sommaire
ILe jeu sur les points de vueIIUn personnage passifIIIParis vue par Frédéric : l'ennui du personnageIVUne description de Paris faite d'oppositionsVLe Quartier latinVIL'importance des sens et du mouvementIl passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis, de place en place, par la bavure des égouts, avec un ponton de blanchisseuses amarré contre le bord, où des gamins quelquefois s'amusaient, dans la vase, à faire baigner un caniche. Ses yeux délaissant à gauche le pont de pierre de Notre-Dame et trois ponts suspendus, se dirigeaient toujours vers le quai aux Ormes, sur un massif de vieux arbres, pareils aux tilleuls du port de Montereau. La tour Saint-Jacques, l'Hôtel de Ville, Saint-Gervais, Saint-Louis, Saint-Paul se levaient en face, parmi les toits confondus, - et le génie de la colonne de Juillet resplendissait à l'orient comme une large étoile d'or, tandis qu'à l'autre extrémité le dôme des Tuileries arrondissait, sur le ciel, sa lourde masse bleue. C'était par derrière, de ce côté-là, que devait être la maison de Mme Arnoux.
Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s'abandonnait à une méditation désordonnée : plans d'ouvrages, projets de conduite, élancements vers l'avenir. Enfin, pour se débarrasser de lui-même, il sortait.
Il remontait, au hasard, le Quartier latin, si tumultueux d'habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d'ailes dans des cages, le ronflement d'un tour, le marteau d'un savetier ; et les marchands d'habits, au milieu des rues, interrogeaient de l'œil chaque fenêtre, inutilement. Au fond des cafés solitaires, la dame du comptoir bâillait entre ses carafons remplis ; les journaux demeuraient en ordre sur la table des cabinets de lecture ; dans l'atelier des repasseuses, des linges frissonnaient sous les bouffées du vent tiède. De temps à autre, il s'arrêtait à l'étalage d'un bouquiniste ; un omnibus, qui descendait en frôlant le trottoir, le faisait se retourner ; et, parvenu devant le Luxembourg, il n'allait pas plus loin.
Gustave Flaubert
L'Éducation sentimentale
1869
Le jeu sur les points de vue
- Flaubert joue sur les points de vue. Il utilise d'abord la focalisation externe avec Frédéric Moreau désigné par le pronom "il". Sa description se fait d'un point de vue extérieur.
- Le narrateur décrit ses faits et gestes : "Ses yeux délaissant à gauche le pont de pierre".
- Dans le deuxième paragraphe, on entre dans les pensées du personnage, grâce au point de vue omniscient : "s'abandonnait à une méditation désordonnée : plans d'ouvrages, projets de conduites..." (énumération).
Un personnage passif
- Le héros est décrit comme passif. Son comportement permet de se faire une idée précise de son caractère.
- Il est souvent immobile : "il passait des heures à regarder".
- Il rêve : "s'abandonnait à une méditation".
- Il se promène sans but : "il remontait, au hasard".
- L'utilisation de l'imparfait suppose que Frédéric a pour habitude de se promener sans savoir où il va : "enfin, pour se débarrasser de lui-même, il sortait."
Paris vue par Frédéric : l'ennui du personnage
- La description de Paris par les yeux de Frédéric permet de mettre en avant l'ennui du personnage.
- L'ensemble du texte présente la ville. C'est une description. Dans le second paragraphe, il y a interruption.
- C'est le caractère du héros qui justifie la description. Comme il ne fait rien, il regarde Paris : "il passait des heures à regarder".
- Il faut également combler le vide : Flaubert décrit donc la ville. Elle devient le sujet principal. Cela traduit parfaitement l'inaction du héros.
Une description de Paris faite d'oppositions
- La description de Paris passe par la Seine. L'eau est tranquille, elle a un rythme lent : "lenteur du temps".
- La Seine est polluée : "grisâtre", "noircis", "la bavure des égouts".
- On note la présence de détails réalistes, "ponton des blanchisseuses" et la cruauté des enfants qui plongent un chien dans la vase.
- Cette vision pessimiste de Paris traduit l'ennui et la tristesse de Frédéric.
- Avec l'énumération de noms propres, "la tour Saint-Jacques […] Saint-Paul", on comprend que le regard de Frédéric se promène.
- La richesse des couleurs des monuments est opposée à la grisaille de la Seine.
- On retrouve également une opposition dans les formes (colonnes et dôme), les couleurs (or et bleue) et les symboles que représentent les monuments (révolution et monarchie). Les références historiques préparent l'intrigue de la révolution de 1830, essentielle dans le roman.
Le Quartier latin
- Le Quartier latin est important dans le roman. C'est le lieu où se retrouvent les étudiants.
- La description est prise en charge par le narrateur, qui utilise le pronom indéfini "on" : "on entendait". Ce n'est plus une description subjective de Frédéric.
- Il y a une volonté d'apporter du réalisme avec des phrases courtes et simples : "la dame du comptoir baillait", "les journaux demeuraient en ordre".
- Après cette description, l'extrait opère un retour sur le héros en focalisation externe : "il s'arrêtait", "le faisait se retourner".
L'importance des sens et du mouvement
- Dans le passage, les sens ont une grande importance.
- On fait référence à des sensations auditives : "allongés par le silence". Paris vu comme tranquille. Le silence domine : "plus morne encore". On entend tout de même des "bruits paisibles" : "des battements d'ailes dans des cages, le ronflement d'un tour, le marteau d'un savetier ; et les marchands d'habits, au milieu des rues, interrogeaient de l'œil chaque fenêtre, inutilement".
- Le regard du narrateur qui balaie la scène, joue un rôle primordial : "au fond des cafés", "dans l'atelier des repasseuses".
- Paris est étrangement paisible : "si tumultueux d'habitude, mais désert à cette époque". On a l'impression d'un temps au ralenti, en suspension.
Tout cela traduit l'état d'esprit de Frédéric.
En quoi la description de Paris traduit-elle l'ennui du personnage ?
I. Un personnage qui regarde : la passivité de Frédéric
II. Une ville triste
III. Paris étonnamment tranquille
Comment Flaubert joue-t-il sur les points de vue ?
I. Le point de vue du narrateur : la passivité de Frédéric
II. La focalisation interne : les rêveries de Frédéric
III. La description de Paris : regard triste de Frédéric et regard réaliste de Flaubert
Quel portrait est fait de Frédéric dans cet extrait ?
I. Un jeune homme passif
II. Un jeune homme rêveur
III. La mélancolie du personnage
Quelle description est faite de Paris ?
I. L'importance des oppositions
II. Un lieu triste et gris
III. Une ville étrangement calme