Sommaire
IL'énonciationIILa logorrhée du personnageIIILa structure du texteIVUne critique de l'amourVUne vision pessimiste du mondeEt alors c'est Robinson, qui a pris sur lui de lui répondre. Il était monté aussi à la fin, et il gueulait à présent aussi fort qu'elle.
"Mais si ! qu'il lui a répondu. Que j'en ai du courage ! et sûrement bien autant que toi !… Seulement moi si tu veux tout savoir… Tout absolument… Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi !… Tout !… L'amour surtout !… Le tien aussi bien que celui des autres… Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? Ça ressemble à faire l'amour dans des chiottes ! Tu me comprends-t-y à présent ?… Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l'effet d'insultes si tu veux savoir… Et tu t'en doutes même pas en plus parce que c'est toi qui es une dégueulasse parce que tu t'en rends pas compte… Et tu t'en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante !… Ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres… Tu trouves ça régulier… Ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours… Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !… Tu m'entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille… leur dégueulasse d'amour !… Tu tombes de travers !… T'arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !… Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères !… T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe ?… De tout ce qu'on voit ?… Ou bien c'est-y que tu vois rien ?… Je crois plutôt que tu t'en fous !… Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une… Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?… Ça passe alors ?… Pas à moi !… Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que t'as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte… Tu cherches à savoir ce qu'il y a entre toi et moi ?… Eh bien entre toi et moi, y a toute la vie… Ça te suffit pas des fois ?
- Mais c'est propre chez moi, qu'elle s'est rebiffée elle… On peut être pauvre et être propre quand même dis donc ! Quand est-ce que t'as vu que c'était pas propre chez moi ? C'est ça que tu veux dire en m'insultant ?… J'ai le derrière propre moi, Monsieur !… Tu peux peut-être pas en dire autant !… Ni tes pieds non plus !
- Mais j'ai jamais dit ça Madelon ! J'ai rien dit comme ça du tout !… Que c'est pas propre chez toi ?… Tu vois bien que tu ne comprends rien !" C'est tout ce qu'il avait trouvé à lui répondre pour la calmer.
Louis-Ferdinand Céline
Voyage au bout de la nuit
1932
L'énonciation
- La syntaxe de Céline marque la colère du personnage.
- Il utilise un langage familier, registre peu utilisé avant Céline : "gueulait", "chiottes", "emmerde", "m'en fous".
- On remarque aussi le discours oral : "Mais si !", "Que j'en ai du courage", "Eh bien", "ça", et de nombreuses phrases nominales : "Tout absolument", "L'amour surtout", "pas seulement toi", "leur dégueulasse amour".
- Il fait volontairement des erreurs de construction syntaxique : "Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !"
- Cela donne du réalisme au personnage.
La logorrhée du personnage
- On peut parler de logorrhée du personnage de Robinson. Son discours semble ne pas avoir de fin.
- Ce discours met en scène l'impossibilité de communiquer.
- Il s'agit d'un échec de communication : "Mais j'ai pas dit ça Madelon ! J'ai dit comme ça du tout ! [...] Tu vois bien que tu comprends rien !"
- L'intervention comique de Madelon renforce ce sentiment : "Mais c'est propre chez moi".
- Madelon est prise à partie mais elle ne peut jamais parler : "Tu m'entends ?", "De tout ce qu'on voit ?", "ça passe alors ?"
La structure du texte
- Le texte prend une structure argumentative. Il s'agit d'une thèse au début : le personnage de Robinson a du courage, car contrairement aux autres il accepte que toute la vie est "dégueulasse".
- Il propose des arguments en lien avec l'amour : l'amour est une illusion, l'amour ne peut pas se vivre avec tout le monde, le monde est trop moche pour qu'il y ait de l'amour.
- Enfin, un exemple est donné par Madelon : "Tu trouves ça régulier", "Tu tombes de travers !"
- Le discours est généralisé : "Entre toi et moi y a toute la vie".
Une critique de l'amour
- Le discours donne une image très négative de l'amour.
- On y observe le champ lexical du dégoût : "répugne", "dégoûte", "chiottes", "dégueulasse", "dégoûtante", "bavent", "emmerde".
- Ce sentiment est renforcé par la répétition pour insister du verbe "dégoûter".
- Il y a un rejet de l'autre : "tout qui me dégoûte [...] pas seulement toi".
- L'amour est désigné par des phrases péjoratives : "les trucs aux sentiments", "tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste à toi collé", "d'insultes", "de la viande pourrie", "avec ta sauce tendresse".
- Robinson ne peut pas être au contact des autres.
- L'amour est un leurre social : "ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour".
- L'amour est une illusion, une fausse idée du bonheur.
Une vision pessimiste du monde
- La vision pessimiste de Céline s'illustre sur plusieurs niveaux.
- Premièrement, il s'agit de cette incommunicabilité, impossibilité du dialogue.
- Deucièmement, la représentation du dégoût de l'amour. On note l'intervention comique de Madelon, très prosaïque qui souligne l'incapacité à aimer et se comprendre.
- On remarque l'opposition entre sentiments et violence : "Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une".
- Le bilan de la vie est pessimiste puisque Robinson constate l'échec et l'aveuglement.
- Une seule solution, se retirer du monde (asile psychiatrique) ou mourir.
Pourquoi ce texte est-il original ?
I. Le vocabulaire familier
II. Une syntaxe éclatée
III. La vision pessimiste de Robinson
Quelle définition Robinson donne-t-il de l'amour ?
I. Une chose "dégueulasse"
II. Un leurre social
III. Une illusion
Quels thèmes sont abordés dans ce texte ?
I. L'illusion de l'amour
II. L'impossibilité à communiquer
III. La condition humaine