Sommaire
ILe discours d'un rebelleIILe porte-parole de sa classe socialeIIIJulien se condamne à mortIVUne scène théâtrale"Messieurs les jurés,
"L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.
"Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société.
"Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés…"
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu'il avait sur le cœur ; l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Mme Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l'adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour Mme de Rênal… Mme Derville jeta un cri et s'évanouit.
Stendhal
Le Rouge et le Noir
1830
Le discours d'un rebelle
- Le discours de Julien est à la première personne, il s'adresse aux jurés : "je" et "vous".
- Il apostrophe son public : "Messieurs les jurés", mais on note une mise à distance avec les jurés, Julien oppose "je" à "vous".
- Julien est présenté ici comme un héros rebelle. Il explique sa révolte : "je n'ai point l'honneur". Il rappelle d'où il vient : "un paysan". Il est en "révolte" contre la société et les inégalités.
- Il rappelle la position sociale de ses jurés : "bourgeois indignés". C'est une opposition entre le paysan et les riches bourgeois.
- Julien souligne l'injustice en insistant sur le fait qu'il n'est pas jugé par ceux de son milieu : "je ne suis point jugé par mes pairs".
- C'est un véritable règlement de compte. Julien parle au nom de sa classe sociale.
Le porte-parole de sa classe sociale
- Julien se fait porte-parole des pauvres. Il arrête de dire "je" et parle de "cette classe de jeunes gens".
- On remarque l'utilisation du présent de vérité générale.
- Le discours souligne l'opposition des classes sociales. La classe pauvre n'a pas de "bonheur", pas de "bonne éducation", ne fait pas partie de la "société.
- Julien dit qu'il est jugé pour son "audace", car il refuse de rester à sa place. Cela connote l'idée d'une transgression sociale.
- Il demande une peine exemplaire pour que les jeunes garçons ne suivent pas son chemin.
- Il assure qu'on veut le juger d'abord car il a été ambitieux, car il n'est pas à sa place, et non pas pour le meurtre de Mme de Rênal.
Julien se condamne à mort
- Julien ne se défend pas, son discours n'est pas une plaidoirie. Au contraire, il s'accuse et se juge lui-même.
- Il aggrave son cas en parlant de "préméditation".
- Il décide qu'il mérite de mourir : "j'ai donc mérité la mort".
- Il rejette le crime passionnel, qui serait moins puni, et parle de matricide : "Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère".
- Julien idéalise Mme de Rênal, il en fait un véritable éloge, ce qui aggrave son crime.
- Julien revendique son indépendance et son ambition. Il se condamne à mort, car il veut mourir dignement.
- Il est orgueilleux, il se fait martyr : "ce que l'orgueil" (périphrase).
- Il se met à distance des autres.
- Il exagère en utilisant notamment des hyperboles : "décourage à jamais".
Une scène théâtrale
- Cette scène a un aspect très théâtral. Il y a le long discours de Julien, qui est comme un monologue. Il y a des didascalies. On peut également parler de mise en scène.
- Le monologue est remarquable par l'utilisation de guillemets et l'adresse de Julien aux jurés.
- Les réactions émues des femmes rendent les didascalies vivantes, idée renforcée par l'évanouissement de l'une d'elles. Tout au long du roman, Julien a été rapproché des femmes, par sa beauté féminine, par sa sensibilité.
- Le lecteur assiste à la fin terrible d'un roman d'apprentissage. Julien est lucide. C'est un monologue qui souligne sa perspicacité, la fin de son innocence, sa désillusion et sa haine.
En quoi cette scène est-elle théâtrale ?
I. Un discours vivant
II. Un monologue théâtral
III. La réaction des autres personnages
Que dénonce Julien dans cette scène ?
I. Une condamnation de son propre crime
II. Une dénonciation des inégalités sociales
III. Un rejet des classes sociales
En quoi le discours de Julien est-il surprenant ?
I. Le discours d'un rebelle
II. Le porte-parole de sa classe sociale
III. Julien se condamne lui-même à mort
Comment Julien aggrave-t-il son cas ?
I. Une peinture idéalisée de Mme de Rênal
II. Un matricide et non un crime passionnel
III. Un crime social