Sommaire
IUn rappel de l'intrigueIIUne relation amoureuseIIIUne relation conflictuelleIVL'amour, un sujet épineuxVLe portrait de ValmontAUn homme supérieurBUn calculateurCUn homme ambitieuxVILe thème de l'impiétéDu Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil à Paris
Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme. Ce n'est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave ; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent même je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérêts nous appellent ; conquérir est notre destin, il faut le suivre : peut-être au bout de la carrière nous rencontrerons-nous encore ; car, soit dit sans vous fâcher, ma très belle marquise, vous me suivez au moins d'un pas égal ; et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prêchons la foi chacun de notre côté, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zèle, votre ardente ferveur ; et si ce Dieu-là comme l'autre nous juge sur nos œuvres, vous serez un jour la patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami sera au plus un saint de village. Ce langage mystique vous étonne, n'est-il pas vrai ? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre ; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir.
Ne vous fâchez pas, et écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cœur, je vais vous confier le plus grand projet qu'un conquérant ait jamais pu former. Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille qui n'a rien vu, ne connaît rien ; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense ; qu'un premier hommage ne manquera pas d'enivrer, et que la curiosité mènera peut-être plus vite que l'amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe ; son succès m'assure autant de gloire que de plaisir. L'amour qui prépare ma couronne, hésite lui-même entre le myrte et le laurier, ou plutôt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-même, ma belle amie, vous serez saisie d'un saint respect, et vous direz avec enthousiasme : "Voilà l'homme selon mon cœur."
Vous connaissez la présidente Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères. Voilà ce que j'attaque ; voilà l'ennemi digne de moi ; voilà le but où je prétends atteindre ;
Et si de l'obtenir je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.
On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d'un grand poète.
Vous saurez donc que le président est en Bourgogne, à la suite d'un grand procès (j'espère lui en faire perdre un plus important). Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux pauvres du canton, des prières du matin et du soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste Wisk ; devaient être ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon ange m'a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé ! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d'usage. Combien on me punirait en me forçant de retourner à Paris ! Heureusement il faut être quatre pour jouer au wisk ; et, comme il n'y a ici que le curé du lieu, mon éternelle tante m'a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j'ai consenti. Vous n'imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir régulièrement à ses prières et à sa messe. Elle ne se doute pas de la divinité que j'y adore.
Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles : mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute à l'ardeur du désir. Je n'ai plus qu'une idée ; j'y pense le jour, et j'y rêve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en être amoureux : car où ne mène pas un désir contrarié ? Ô délicieuse jouissance ! je t'implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! nous ne serions auprès d'elles que de timides esclaves. J'ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m'amène naturellement à vos pieds. Je m'y prosterne pour obtenir mon pardon, et j'y finis cette trop longue lettre. Adieu, ma très belle amie : sans rancune.
Du château de..., ce 5 août 17**
Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses
1782
Un rappel de l'intrigue
- Cette lettre rappelle l'intrigue. Valmont évoque la demande que la marquise lui a faite de séduire Cécile : "Que me proposez-vous ?"
- Valmont fait un portrait de Cécile : "jeune fille qui n'a rien vu, ne connaît rien", "sans défense".
- Valmont refuse les "ordres" de la marquise. Il lui demande de l'en excuser : "sans rancune". Cécile est trop facile à avoir.
- Valmont expose ensuite son nouveau projet qui est la séduction de Mme de Tourvel : "le plus grand projet [qu'il ait] jamais formé". C'est la deuxième intrigue du roman qui est présentée ici.
- Valmont fait un portrait de Mme de Tourvel : "triste wisk", "amour conjugal", "inconsolable moitié", "affligeant veuvage". C'est une femme qui est fidèle à son mari. Son nom, Tourvel, rappelle "tour". Elle est inatteignable. Elle paraît triste : "ses principes austères", "promenades solitaires". C'est une femme noble qui cherche toujours à aider les autres.
- Merteuil connaît déjà Mme de Tourvel : "vous connaissez", "vous saurez". C'est surtout le lecteur qui apprend quelque chose sur elle.
Une relation amoureuse
- La marquise et Valmont semblent avoir une relation amoureuse. Ils ont été amants par la passé. Valmont semble nostalgique, il veut revivre ce passé : "de les mériter de nouveau".
- Leur relation est toujours intime : "dépositaire de tous les secrets de mon cœur". Ils se confient l'un à l'autre.
- Champ lexical de la galanterie : "ma belle amie".
- Vocabulaire courtois : "vos ordres sont charmants", "esclave", "mériter", "vous feriez chérir le despotisme", "à vos pieds", "je m'y prosterne".
- Idée que Valmont est le chevalier servant de Mme de Merteuil.
Une relation conflictuelle
- La relation semble pourtant teintée d'un jeu de pouvoir.
- Valmont refuse de faire ce que lui demande Mme de Merteuil.
- Les deux forment un couple qui a les mêmes préoccupations : "nous", "avec vous", "notre destin", "Vous me suivez d'un pas égal".
- Mais il y a aussi une idée de compétition entre eux : "vous avez fait plus de prosélytes que moi", "vous seriez un jour la patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un saint de village".
- Valmont veut dépasser Merteuil : "le plus grand projet que j'aie jamais formé".
L'amour, un sujet épineux
- L'amour reste un sentiment apparemment compliqué pour Valmont. Il flatte Mme de Merteuil et s'adresse à elle avec un vocabulaire galant et courtois, mais l'amour ne semble pas quelque chose qu'il valorise.
- Lorsqu'il parle de Cécile ou Mme de Tourvel, elles semblent des proies et non des femmes avec lesquelles avoir une histoire amoureuse.
- L'amour est fait pour le satisfaire : "plaisirs", "désirs", "jouissance". L'amour est la recherche du plaisir physique.
- Il dédie sa lettre aux "femmes faciles".
- Il a peur de l'amour, car il pense que cela le rendra "ridicule".
Le portrait de Valmont
Un homme supérieur
- Valmont est un homme qui se pense supérieur aux autres. Il se définit par rapport à son entourage et se montre au-dessus d'eux.
- Mme de Tourvel est "inconsolable", il veut agir pour "son bonheur". Il laisse entendre qu'il sera celui qui la fera se sentir mieux.
- Il méprise sa tante : "ma vieille tante", "égards d'usage". Il la trouve idiote, il utilise un ton ironique pour parler de la façon dont elle a été touchée par la "divinité".
- Il se sent supérieur aux femmes en général, qui "se défendent si mal".
Un calculateur
- Valmont est calculateur. Pour séduire la pieuse Mme de Tourvel, il entend d'abord apprendre le langage religieux. Il expose un plan où tout est calculé : "je lui en prépare de plus efficaces".
- C'est un homme cultivé qui cite La Fontaine. Si La Fontaine le dit, alors c'est vrai. Il utilise un argument d'autorité.
- Il flatte Merteuil pour qu'elle ne s'énerve pas.
- Il utilise des euphémismes pour parler de ce qu'il veut faire à Mme de Tourvel : "je lui en prépare de plus efficaces".
- Il use d'ironie : "vous feriez chérir le despotisme".
Un homme ambitieux
- Valmont est ambitieux. Il veut conquérir une femme intouchable. Il utilise le champ lexical de la guerre : "conquérir", "défense", "succès", "attaque", "ennemi", "gloire", "couronne".
- Il s'attaque à une conquête difficile. Cécile est trop facile à séduire, elle est "jeune", "n'a rien vu, ne connaît rien", elle est "sans défense".
- Ce qui l'intéresse, c'est de faire tomber une femme amoureuse de lui. Quand la femme est amoureuse de lui, alors il gagne, il a tout pouvoir sur elle. Cécile sera facile à séduire : "Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe". Il veut une conquête dont seul lui serait capable.
- Valmont se présente comme un héros : "Conquérir est notre destin", "de plus grands intérêts nous appellent".
Le thème de l'impiété
- Si Mme de Tourvel intéresse Valmont, c'est aussi parce qu'elle est pieuse : "sa dévotion", "une messe chaque jour", "des prières du matin et du soir".
- Il choisit une femme mariée, croyante, fidèle. Il veut la pervertir.
- Valmont joue les faux dévots. Il va à la messe et utilise la religion pour réussir à conquérir Mme de Tourvel. Champ lexical de la religion : "nous prêchons", "mission", "prosélytes", "saint", "ferveur".
- Il détourne le vocabulaire religieux : "nous prêchons la foi", c'est le libertinage ; "mission d'amour", c'est pervertir les autres.
- Valmont veut que tous les hommes s'adonnent au même libertinage que lui.
En quoi cette lettre présente-t-elle l'intrigue ?
I. La mise en place de la relation Valmont/Merteuil
II. Le refus de séduire Cécile
III. La présentation d'un nouveau projet
Quelle est la relation entre Merteuil et Valmont qui se dessine dans cette scène ?
I. Un couple d'anciens amants
II. Une lutte de pouvoir
III. Des libertins
Quel portrait de Valmont se dessine dans cette scène ?
I. Un homme calculateur
II. Un ambitieux
III. Un impie libertin
En quoi la lettre est-elle choquante ?
I. Un couple de libertins
II. Le thème de l'impiété
III. Un homme manipulateur et cruel