Sommaire
IUne présentation méprisanteIIUn portrait général d'une classe sociale à partIIILe MalIVLe Thénardier, portrait négatifVLa Thénardier, femme idioteVILe point de vue du narrateurLa souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d'une souris maigre. Qu'était-ce que les Thénardier?
Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.
Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus, qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l'ouvrier ni l'ordre honnête du bourgeois.
C'étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d'une brute et dans l'homme l'étoffe d'un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l'espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu'elles n'y avancent, employant l'expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s'empreignant de plus en plus d'une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.
Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n'a qu'à regarder certains hommes pour s'en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l'inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu'ils ont fait que de ce qu'ils feront. L'ombre qu'ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu'en les entendant dire un mot ou qu'en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.
Ce Thénardier, s'il fallait l'en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s'était même comporté assez bravement, à ce qu'il paraît. Nous verrons plus tard ce qu'il en était. L'enseigne de son cabaret était une allusion à l'un de ses faits d'armes. Il l'avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.
C'était l'époque où l'antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n'était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéry à madame Barthélemy-Hadot, et de madame de Lafayette à madame Bournon-Malarme, incendiait l'âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s'en nourrissait. Elle y noyait ce qu'elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu'elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d'attitude pensive près de son mari, coquin d'une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour "tout ce qui touche le sexe", comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu'une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s'appeler qu'Azelma.
Victor Hugo
Les Misérables
1862
Une présentation méprisante
- Victor Hugo donne d'abord l'impression de faire une notice.
- La phrase introductive permet d'associer "la souris prise était bien chétive" à Cosette et "le chat" aux Thénardier. Dès le début, les Thénardier sont présentés comme des prédateurs.
- La question posée par le narrateur, "qu'est-ce que les Thénardier ?", symbolise son mépris pour les personnages et leur déshumanisation. Ils sont d'abord associés au chat, puis ils sont comme une chose.
- Ce mépris passe aussi par l'utilisation du déterminant dépréciatif "ces" : "ces êtres", "cet homme", "cette femme", et le déterminant "le", comme si les Thénardier étaient une espèce bien à part, des représentants particuliers du Mal : "le Thénardier".
- Pour le moment, le narrateur n'en fait même qu'un "croquis".
Un portrait général d'une classe sociale à part
- Victor Hugo choisit d'abord de faire un portrait général. Il décrit les êtres mauvais dans l'absolu.
- Une succession de termes extrêmement dépréciatifs et insultants est associée à ces êtres : "classe bâtarde", "gens grossiers", "parvenus", "intelligents déchus".
- Les Thénardier et d'autres hommes semblent faire partie d'une classe sociale à part. Ils n'appartiennent pas vraiment à une classe précise et existante, ils sont "entre la classe moyenne" et "la classe inférieure".
- Ils n'ont que des défauts, "quelques-uns" des pauvres, et "presque tous" des riches. Ils n'ont aucune qualité. Hugo les oppose à "l'ouvrier généreux" et à "l'honnête bourgeois".
Le Mal
- Le thème du Mal est très important dans le texte. Les Thénardier sont des représentants du Mal (champ lexical : "vices", "mal", "ténèbres"), tout comme les autres humains de leur "classe".
- Ils ont des "natures naines" qui deviennent "monstrueuses" si il y a le bon "feu". Ce feu et le caractère monstrueux (utilisation de "difformité) rappellent l'Enfer.
- L'utilisation de l'expression "le fond" pour définir le fond de l'âme de Monsieur Thénardier rappelle l'idée de l'Enfer de nouveau qui est au fond de la Terre.
- Victor Hugo rapproche "haut degré" et "mal". Les âmes des Thénardier sont "écrevisses".
- Il oppose la diminution et l'augmentation. Les Thénardier s'éloignent du Bien et grandissent dans le Mal : "reculant", "progrès vers le mal", "vers les ténèbres", "rétrogradant", "n'avancent pas" / "augmenter leur difformité", "empirant sans cesse", "s'empreignent de plus en plus", "noirceur croissante". De nombreuses hyperboles accentuent l'idée de Mal.
Le Thénardier, portrait négatif
- Hugo présente le personnage comme "Le Thénardier".
- Un "physionomiste" mais aussi tout le monde (utilisation du généralisant "on") peut voir qu'il est mauvais. Beaucoup d'adjectifs dépréciatifs le qualifient : "inquiet", "menaçant", "inconnu".
- C'est un homme toujours prêt à faire le mal, avec un côté diabolique : "ombre dans le regard".
- Toute sa vie est dirigée vers le Mal : association de "passé" et "sombres secrets" et "avenir" et "sombres mystères".
- Thénardier ne sait rien faire bien, insistance avec rejet de "mal" : "il savait faire un peu tout ; mal".
- Thénardier ment, "s'il fallait l'en croire" et s'invente un passé héroïque.
La Thénardier, femme idiote
- Seule marque de respect, elle est présentée comme "Madame Thénardier", mais tout de suite après, le narrateur dit : "juste assez intelligente".
- C'est la bêtise de la femme qui est mise en avant. Elle lit "ces espèces de livres", avec l'utilisation du déterminant dépréciatif "ces". Le narrateur ne considère pas cela comme de la littérature : "romans bêtes". Il fait une opposition entre les grands romans classiques et ce que lit la Thénardier. La Fayette, De Scudéry sont opposées aux romans "vulgaires".
- Mme Thénardier s'abêtit avec ces livres : "noyait ce qu'elle avait de cervelle". Déçue par rapport à la vie, elle est "pensive" devant son mari, qui n'est pas sentimental. Il est "grossier". Victor Hugo cite une expression du mari pour montrer sa grossièreté : "tout ce qui touche le sexe".
- La mauvaise littérature a rendu la Thénardier "grosse méchante femme". De plus, elle a donné des prénoms jugés idiots par le narrateur à ces filles, Éponine et Azelma : "on ne lit pas impunément des niaiseries". Les enfants paient la bêtise de leurs parents.
Le point de vue du narrateur
- La description est très ironique. Le narrateur se moque des personnages, les méprise.
- Lorsqu'il parle du caractère mensonger du Thénardier, l'expression du doute, avec plusieurs formulations, nuance les propos du personnage : "s'il fallait l'en croire", "disait-il", "probablement", "ce qu'il paraît".
- Il parle au lecteur : "Disons", "Nous", "Nous verrons". Il précise qu'il va prouver que le Thénardier ment : "ce qu'il en était". Il explique qu'il va continuer plus loin le portrait des Thénardier.
- On a déjà relevé l'utilisation des déterminants dépréciatifs. La répétition de "assez" minimise la valeur des personnages.
- De très nombreuses hyperboles et exagérations servent la description.
- Le narrateur ironise car il sait déjà comment sera Mme Thénardier, et se moque de ses lectures : "cheveux romanesquement pleureurs".
- L'avis du narrateur est visible par l'apparition du "je" dans le texte, notamment dans la dernière phrase.
En quoi le portrait des Thénardier est-il négatif ?
I. Une classe sociale à part
II. Des représentants du Mal
III. Un menteur et une idiote
Comment le narrateur apparaît-il dans ce texte ?
I. Les marques de présence du narrateur
II. Le mépris pour les personnages
III. L'ironie et l'exagération
Quelles sont les caractéristiques principales des Thénardier ?
I. L'importance du Mal
II. La bêtise
III. La petitesse de l'âme