Sommaire
ILe portrait de la lingèreIIDes lectures romantiquesIIIL'ironie de FlaubertIVUne critique de la littérature romantiqueIl y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler à la lingerie. Protégée par l'archevêché comme appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous la Révolution, elle mangeait au réfectoire à la table des bonnes sœurs, et faisait avec elles, après le repas, un petit bout de causette avant de remonter à son ouvrage. Souvent les pensionnaires s'échappaient de l'étude pour l'aller voir. Elle savait par cœur des chansons galantes du siècle passé, qu'elle chantait à demi-voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu'elle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-même avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n'étaient qu'amours, amants, amantes, dames persécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu'on tue à tous les relais, chevaux qu'on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. Avec Walter Scott, plus tard, elle s'éprit de choses historiques, rêva bahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir.
Gustave Flaubert
Madame Bovary
1856
Le portrait de la lingère
- Le portrait de lingère est essentiel, puisque c'est elle qui apporte à Emma des livres.
- L'utilisation de l'imparfait de la durée rappelle aussi les contes de fée : "il y avait". C'est une façon de se moquer des romans que lit Emma, qui sont tous pareils.
- La construction de l'extrait rappelle aussi celle des contes puisqu'Emma apparaît comme une vieille fille qui rappelle un de leurs personnages. Elle vient d'une "ancienne famille ruinée". Elle n'est pas mariée à cause de cela.
- On a l'idée d'une routine, elle revient tous les mois pendant huit jours.
- La lingère amuse et distrait les jeunes filles du couvent : "savait par cœur, chantait, contait".
Des lectures romantiques
- Le couvent est un lieu féminin. Les jeunes filles y vivent recluses. Elles idéalisent la vie en dehors du couvent, et particulièrement l'amour.
- C'est un lieu fermé qui permet de rêver, de laisser libre cours à son imagination.
- Les lectures d'Emma n'ont qu'un seul thème, l'amour : "amours, amants, amantes". Il n'y a pas d'article, les mots sont au pluriel. Rien n'est unique. C'est une façon pour Flaubert de dévaloriser les amours qui sont représentées dans ces livres, et qui sont toujours similaires.
- Flaubert se moque aussi de l'invraisemblance de ces livres. Il écrit "vertueux comme on ne l'est pas", ce qui ne veut rien dire.
- L'action est toujours la même : les femmes s'évanouissent, les princes charmants les sauvent, etc.
- Les personnages sont beaux : "bien mis".
L'ironie de Flaubert
- Flaubert se montre très ironique.
- Il dévalorise les lectures d'Emma avec la négation restrictive : "ne ... que". Emma ne lit que des livres mauvais.
- Il parodie les clichés notamment avec "le rossignol", qui est l'oiseau de l'amour.
- Il se moque des décors : pavillons solitaires, forêts sombres, bosquets.
- Flaubert tourne en dérision le héros : "pleurer comme une urne".
Une critique de la littérature romantique
- Flaubert dénonce la littérature romantique.
- Il montre que les histoires sont toujours répétitives. Les décors sont stéréotypés. Les personnages n'ont aucune psychologie. L'écriture est mauvaise. Pour lui, ce sont de mauvais romans.
- Flaubert dénonce la mauvaise influence de cette littérature sur les jeunes femmes manipulables : "engraisse les mains de cette poussière".
- Flaubert compare ces romans à des "choses", terme dévalorisant.
- Flaubert critique en particulier l'écrivain Walter Scott.
En quoi cette scène est-elle originale ?
I. Le portrait de la lingère
II. Le glissement vers Emma
III. Une critique du romantisme
Que dénonce Flaubert dans cet extrait ?
I. La vie recluse dans le couvent
II. La naïveté des jeunes filles
III. La littérature romantique
Comment peut-on caractériser les lectures d'Emma ?
I. Des histoires romantiques
II. Le manque d'originalité
III. Des lectures sans intérêt