Sommaire
ILe drame romantiqueAUne esthétique nouvelleBLe mélange des genresIILe héros romantiqueAL'amour passionnelBUne victime de la sociétéCLe pouvoir de la destinéeIIIUne critique de la sociétéAL'élitisme et l'injusticeBLe système socialRuy Blas
Victor Hugo
1838
Don Salluste a été disgracié par la reine d'Espagne. Il veut se venger, et pour cela il pousse son valet Ruy Blas à la séduire. Il écrit une lettre où il reconnaît la bassesse de sa condition, et envoie Ruy Blas sous une fausse identité à la cour. Ruy Blas devient Don César, le cousin de Don Salluste. Le valet a accepté cette mission car il est secrètement amoureux de la reine.
Celle-ci est vite séduite par Ruy Blas, qui lui offre un bouquet de fleurs et une belle lettre d'amour. Six mois plus tard, Ruy Blas est devenu Premier ministre grâce à elle. Son investissement pour l'État et sa grandeur ont pour effet que la reine lui déclare son amour et l'embrasse. Don Salluste surgit alors et rappelle à Ruy Blas sa position de valet. Il le menace de rendre publique sa liaison avec la reine s'il ne lui obéit pas.
Le vrai Don César fait alors son retour. Don Salluste le fait arrêter et organise un rendez-vous entre Ruy Blas et la reine. Il apparaît lors de leur entretien et menace la reine de révéler sa liaison si elle ne renonce pas à la couronne. Don Salluste révèle ensuite la véritable identité de Ruy Blas, et celui-ci le tue. La reine est choquée d'entendre la vérité et ne peut accepter Ruy Blas. Il s'empoisonne. Elle lui pardonne alors, mais il meurt dans ses bras.
Le drame romantique
Une esthétique nouvelle
Dans la préface de Cromwell, Victor Hugo affirme sa volonté de bâtir une esthétique nouvelle. Il assure qu'il faut briser les règles du théâtre classique et réaffirmer l'ambition du romantisme. Ruy Blas est ainsi libéré de toutes les contraintes classiques. Il n'y a pas d'unité de lieu, la scène se passe à plusieurs endroits.
Il n'y a pas non plus d'unité de temps. Le drame s'étale sur plusieurs mois. Il n'y a pas non plus d'unité d'action. En effet, l'intrigue est complexe. On suit à la fois une histoire sentimentale et une histoire politique. Enfin, les règles de vraisemblance et de bienséance sont négligées. Les actes des personnages sont héroïques et épiques, le spectacle est ce qui compte le plus.
Le mélange des genres
Le drame romantique rompt avec le théâtre traditionnel par sa forme. En effet, Victor Hugo n'utilise pas les alexandrins, ce qui était obligatoire à l'époque classique. Il préfère les vers acrobatiques.
Le sujet de la pièce est également audacieux. L'auteur exalte l'amour impossible, il ose des situations qui peuvent paraître improbables, et il dénonce l'ordre de la société. Surtout, Victor Hugo prône le mélange des genres. Il pense que comique et tragique doivent être mêlés. Il assure que la vie elle-même n'est jamais tout à fait drôle ou triste. Ainsi, le drame romantique se veut "une peinture totale de la nature".
Le modèle de Victor Hugo est Shakespeare. Si ce dernier était déjà connu en France avant Victor Hugo, c'est bien lui qui l'a défendu le mieux. Il l'estime supérieur à tous les auteurs classiques, car justement il écrit des pièces où tragédie et comédie se côtoient.
Le héros romantique
L'amour passionnel
Ruy Blas est un personnage très sensible qui éprouve volontiers ses sentiments. Il nourrit pour la reine un amour idéal et passionnel. Lorsqu'il lui fait la cour, il l'idéalise complètement. La fidélité est essentielle pour lui. L'amour entre les deux personnages a quelque chose des amours chevaleresques, la femme est idéalisée et vénérée, c'est une femme qui a un rang supérieur à son amant (ici elle est reine).
Outre l'amour qui l'anime, Ruy Blas est aussi un être romantique, torturé par sa place dans la société et par la peur que la reine découvre sa véritable identité et cesse de l'aimer. C'est donc un homme romantique, animé par la passion et la tristesse.
Une victime de la société
Ruy Blas est partagé entre l'idée qu'il se fait de lui-même et le rôle que la société lui réserve. En effet, il sait qu'il est valet et doit le rester, mais il a des intentions plus nobles, des aspirations bien supérieures à sa condition. Il est d'ailleurs, dans ses actions et ses paroles, plus noble que beaucoup de grands de la cour.
Son amour pour la reine met bien en scène ce déchirement du personnage. Il sait qu'il n'a pas le droit d'être avec elle, il sait qu'il ne peut prétendre l'aimer, qu'il n'en est pas digne. Il dit ainsi qu'il est un "ver de terre amoureux d'une étoile". La société l'empêche d'être un homme qu'elle pourrait aimer. C'est la raison pour laquelle il accepte d'obéir à son maître, même s'il sait que cela nuira à la reine. Il a, tout à coup, la possibilité d'être plus que ce qu'il a jamais été. On peut donc considérer qu'il est victime de la société, puisque cette dernière l'empêche d'être ce qu'il voudrait.
Le pouvoir de la destinée
Le destin de Ruy Blas ne cesse de lui échapper. Son amour devient un piège. En effet, c'est par amour qu'il accepte le marché avec Don Salluste, mais ce marché est voué à se retourner contre lui. Il va devenir l'instrument utilisé contre la femme qu'il aime. Il est manipulé par son maître, mais comme il aime la reine, il continue de faire sa mission.
Or, ce n'est pas uniquement son amour qui l'entraîne vers sa fin tragique, mais aussi sa condition. Plus que ses sentiments pour la reine, c'est sa véritable identité qui rend impossible une fin heureuse pour lui. Il ne peut être avec la reine, il ne peut rester son amant. Sa position de valet l'empêche d'être ce qu'il voudrait. Même lorsque Don Salluste est mort, la société se tient entre lui et la reine. Seule sa mort permet à la reine d'avouer ses sentiments pour un homme inférieur à elle.
Une critique de la société
L'élitisme et l'injustice
Victor Hugo dénonce dans cette pièce l'élitisme de son temps. La scène où Don Salluste humilie Ruy Blas et lui fait comprendre qu'il n'est qu'un valet est centrale dans ce sens. L'auteur s'insurge contre un ordre social injuste.
Lorsqu'il est ministre, Ruy Blas se soucie de l'Espagne, et non de son propre intérêt. Mais il se rend compte que son maître Don Salluste, et que les autres ministres, exercent leur pouvoir pour obtenir des satisfactions personnelles, jamais pour le bien de tous, le bien du pays. Victor Hugo laisse ainsi entendre que les dirigeants ont de mauvaises intentions, qu'ils profitent du peuple, et que les faibles, les pauvres, ne peuvent pas s'en sortir dans une telle société. Victor Hugo promeut dans sa pièce un idéal de justice sociale. Le choix même du genre a ici une portée politique. En effet, contrairement à la tragédie classique, qui s'adresse à l'aristocratie, le drame s'adresse à tous, et traite, surtout, des pauvres comme des riches.
Le système social
À travers le personnage de Ruy Blas, Victor Hugo peut peindre un amour sincère et pur. Mais il est voué à l'échec. L'auteur dénonce les préjugés de la société, et promeut un idéal, celui d'une société sans barrières sociales. Pour lui, les sentiments n'ont rien à voir avec la position sociale des personnes. Mais le monde tel qu'il est à l'époque de Victor Hugo ne permet pas à un amour pourtant idéal d'exister. C'est l'hypocrisie d'une société qui croit que la beauté et la noblesse de cœur ne peuvent être trouvées que dans l'aristocratie que l'auteur dénonce ici. Le dramaturge offre à un valet le plus beau rôle de la pièce, celui d'un homme d'honneur, idéal et courageux.
Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là.
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme s'il le faut,
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.
Victor Hugo
Ruy Blas, Acte II, scène 2
1838
Le héros se compare ici à un ver, un moins que rien. Tout en déclarant son amour, il reconnaît que sa situation sociale va contrarier ses sentiments.