La Nausée
Jean-Paul Sartre
1938
Antoine Roquentin est célibataire d'environ trente-cinq ans. Il vit seul à Bouville. Il essaie d'écrire un livre sur la vie du marquis de Rollebon. Il vit de ses rentes, il vient de quitter l'Indochine car il n'aimait pas son emploi. C'est le journal de Roquentin qui constitue le roman. Petit à petit, le héros s'aperçoit qu'il a un rapport aux choses qui a changé. Tout lui paraît agaçant, énervant. À plusieurs reprises, il est pris par la nausée. Dans ces moments, il ne peut plus se voir, il n'aime plus personne, il a seulement un profond dégoût.
Il s'éloigne de tout ce qui l'entoure. Il abhorre la bourgeoisie de Bouville, il ne supporte plus Rollebon et arrête d'écrire. Il raconte alors qu'il se rend compte de l'existence, qu'il existe, que tout autour de lui existe. Il revoit Anny, une ancienne compagne, qui lui apprend son départ. Il réalise qu'il est seul, qu'il n'existe plus pour personne. Seul la fiction, l'imaginaire parviennent à l'aider. Il va tenter d'écrire un roman pour accepter l'existence.
L'existentialisme de Sartre
Sartre pense que l'existence de l'Homme exclut l'existence de Dieu. Pour Sartre, l'Homme est responsable. Il est celui qui contrôle le réel par son action, il est maître de sa liberté. Sartre rejette l'idée de destin, de déterminisme. "L'homme est l'avenir de l'homme, l'homme est ce qu'il fait."
L'existentialisme, ou "philosophie de l'existence", est inspirée de la philosophie de deux auteurs allemands, Husserl et Heidegger. C'est une pensée qui a pour but de décrire les structures de l'existence. Ce qui importe, c'est la conscience de soi. L'Homme n'est pas une essence ou substance.
L'existentialisme est une philosophie qui s'intéresse au concret, à l'immédiat. Sartre se penche sur les émotions de l'Homme, ses sensations dans le présent, sa solitude, son angoisse. Il traite de cette pensée dans la grande majorité de son œuvre. Il est notamment l'auteur des célèbres L'Être et le Néant (1943) et La Critique de la raison dialectique (1960).
La signification de "la nausée"
Sartre dans ce roman développe particulièrement sa théorie de l'existentialisme. Le passage le plus important du livre est le moment où le héros réalise son essence. Il dit : "Et puis j'ai eu cette illumination". Avant la révélation, le héros est dans le mensonge, dans la tromperie. Il pense qu'un objet a une fonction, une couleur, une forme. Il fait des jugements de valeur. Il donne du sens aux objets. Mais il comprend que sous l'illusion il y a une véritable essence.
Il réalise que les objets sont creux. Chaque objet devient alors inutile. Plus rien n'a de signification. Le réel devient étrange. La nausée est ce sentiment physique qui prend l'humain quand il découvre cette étrangeté. Le langage perd son sens, les signes n'adhèrent plus à leurs référents. Le monde n'a plus de raison d'exister.
La chose, qui attendait, s'est alertée, elle a fondu sur moi, elle se coule en moi, j'en suis plein. - Ce n'est rien : la Chose, c'est moi. L'existence, libérée, dégagée, reflue sur moi. J'existe.
J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger : on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux. Il y a de l'eau mousseuse dans ma bouche. Je l'avale, elle glisse dans ma gorge, elle me caresse - et la voila qui renaît dans ma bouche, j'ai dans la bouche à perpétuité une petite mare d'eau blanchâtre - discrète - qui frôle ma langue. Et cette mare, c'est encore moi. Et la langue. Et la gorge, c'est moi.
Jean-Paul Sartre
La Nausée
1938
Une critique de la société
Sartre parle dans son roman des "salauds". Ce sont les hommes qui cherchent des raisons de vivre. Ils imposent alors un ordre établi et s'y plient. Pour ces hommes, le destin justifie l'existence. Sartre associe les "salauds" aux bourgeois catholiques. Ces hommes revendiquent l'ordre divin, ils n'ont que des certitudes, ils invoquent des raisons absurdes pour justifier la société (le sexe, la religion, la nationalité).
Pour Sartre, toutes ces idées sont trompeuses. L'Homme n'a pas d'identité. Rien ne détermine l'Homme, rien n'existe avant lui. L'individu est vierge de passé. L'Homme doit apprendre à vivre sans croire à quelque chose ou quelqu'un, sans chimère. C'est le futur qui doit être le but de l'Homme.