Sommaire
IUne tragédie classiqueAL'unité spatio-temporelleBUne action vraisemblable et moraleIILe dilemme tragiqueIIIUn dénouement tragique ?ALa mort, grande absenteBLa tristesse majestueuseBérénice
Jean Racine
1671
Antiochus aime Bérénice en secret depuis cinq ans. Elle va bientôt épouser Titus, roi de Rome. Il part donc, car il ne peut le supporter. Il avoue à Bérénice son amour, et elle est choquée qu'il ose le faire. Elle lui dit qu'il a perdu son amitié. Titus paraît sur scène. Il interroge Paulin sur l'opinion de Rome concernant son mariage avec une reine étrangère. Il lui rappelle que la loi lui interdit de le faire, et que les Romains sont contre. Titus doit donc sacrifier celle qu'il aime. Il ne peut se marier avec elle. Il est désespéré, car s'il est devenu l'homme qu'il est, c'est grâce à elle. Bérénice paraît, mais Titus fuit, incapable de lui dire. Bérénice croit qu'il est jaloux d'Antiochus. Pas un instant elle ne doute qu'il l'épousera.
Titus demande à Antiochus, avant qu'il ne parte, d'annoncer à Bérénice qu'il ne peut l'épouser. Bérénice entre en scène, et même si Antiochus ne veut pas lui avouer la terrible nouvelle, elle le force. Elle refuse de le croire ensuite et le renvoie. Antiochus attend la nuit pour partir, il veut être sûr que Bérénice ne se suicide pas.
Titus envoie Paulin voir Bérénice. Comme Bérénice qui, seule, essayait de comprendre, il tente de voir s'il peut continuer à être empereur et rester avec elle, mais il voit bien qu'il ne peut pas. Bérénice arrive. Elle lui fait des reproches et ne peut le croire. Elle dit qu'elle est prête à devenir sa concubine. Elle quitte la scène, blessée.
Bérénice s'apprête à quitter Rome. Titus lui révèle qu'il l'aime toujours. Il a reçu la lettre où elle menace de se tuer et il ne peut le supporter. Il explique ses raisons, mais se dit incapable de choisir. Il assure l'aimer trop. Il lui laisse le choix. Il lui fait comprendre qu'il mourra si elle se tue. Bérénice décide alors de quitter Rome, de ne pas mourir. Antiochus renonce aussi à se tuer. Les trois héros vont vivre séparés, même s'ils aimeront toujours. Titus devient empereur.
Une tragédie classique
L'unité spatio-temporelle
L'unité de temps est respectée, la pièce ne dure pas plus d'une journée. Dans la dernière scène, Bérénice dit d'ailleurs : "Je crois depuis cinq ans jusqu'à ce dernier jour." Les cinq années de bonheur du couple, qui sont rappelées à plusieurs reprises dans la pièce, se terminent donc au cours de cette journée que met en scène la tragédie.
L'unité de lieu est aussi respectée. On trouve ainsi la didascalie : "La scène est à Rome, dans un cabinet qui se trouve entre l'appartement de Titus et celui de Bérénice." L'action se déroule donc dans cet endroit. Le cadre est très intime.
Une action vraisemblable et morale
La bienséance et la vraisemblance, règles essentielles dans le théâtre classique, sont aussi respectées. Rien ne choque la morale, et surtout il n'y a pas de violence physique. Tout ce qui se passe n'est pas illogique, au contraire. Un roi prend conscience de ses devoirs et doit quitter sa maîtresse. Dans ce sens, la pièce est même très morale. Antiochus semble pris au piège de ce couple qui se déchire, mais sa déclaration d'amour n'est pas non plus étrange, puisqu'il s'apprêtait à quitter Rome et pensait voir Bérénice pour la dernière fois. La décision finale de l'héroïne est noble, ce qui correspond bien à son personnage. La pièce est donc parfaite en ce sens.
Le dilemme tragique
Lorsqu'un héros de tragédie est face à un choix, où les deux options sont inconciliables, comme l'amour et le devoir pour Titus, on parle de dilemme. Celui-ci doit être résolu au cours de la pièce, le héros doit se résoudre à perdre quelque chose. Aucune solution ne peut être satisfaisante.
On trouve ainsi de nombreux monologues délibératifs dans la pièce. Bérénice et Titus tentent de comprendre, tentent de trouver des échappatoires, des solutions. Seul sur scène, le personnage tragique se parle à lui-même. On peut ainsi relever plusieurs marques du registre oratoire. Tous les aspects du dilemme sont ainsi analysés, et il devient évident que le mariage entre Titus et Bérénice est impossible, le public lui-même le comprend.
Un dénouement tragique ?
La mort, grande absente
Il est original qu'il n'y ait pas de morts dans Bérénice. Certains ont ainsi remis en question le terme de tragédie pour la pièce. Pourtant, le dénouement est véritablement tragique. Le dramaturge parle de la "tristesse majestueuse" de Bérénice. En effet, chacun des personnages va vivre de son côté. Leur désillusion est totale. Ils ne peuvent être véritablement et complètement heureux.
Il n'y a pas de mort, et la promesse d'aimer toujours est faite. Mais il y a une mort symbolique, celle de la présence de l'autre. Le devoir et la gloire l'emportent sur le bonheur personnel.
La tristesse majestueuse
"Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie." C'est ainsi que Racine décrit la tragédie dans la préface de Bérénice.
Les héros de la pièce ont pour rôle de se comporter à la mesure de leur rang. Titus doit être fidèle à son rôle d’empereur, Bérénice à sa passion et Antiochus à son amitié. L'action est très simple, mais elle est loin d'être inexistante. Le spectateur suit l'évolution des personnages, leur acceptation du destin. Ils se révoltent, ils luttent, puis ils se soumettent.